Critique à l’égard des utilisations journalistiques de chiffres coupés de leur source et des éléments de méthode qui les fondent, Pénombre a souvent été sollicitée par des rédactions soucieuses d’une meilleure approche. La demande a parfois pris la tournure d’un défi que nous avons jugé bon de relever. Se plier aux contraintes de la rubrique le chiffre du mois, de la semaine ou du jour n’est pas facile. Et, quelle que soit la formule adoptée, tenir l’exercice dans la durée encore moins facile. Voici quelques traces de ces expériences dans la presse écrite avant un petit coup de pub pour notre actuelle expérience audiovisuelle.
En 1999, la revue L’école des parents diffusée aux adhérents de l’association du même nom nous sollicitait pour une collaboration régulière. Une convention était adoptée : « La contribution de Pénombre à la revue L’école des parents consiste à prendre chaque mois un chiffre (ou un sujet de chiffrage) et à en exposer la signification et les enjeux : qui produit ce chiffre, pourquoi (quels moyens de publication/publicité), qui a intérêt à sa circulation, quelle est sa « véracité », quelle source, que dit-il de la réalité ? Les sujets concerneront : naissances, petite enfance, adolescence, parentalité, famille, couple, éducation, enseignement, inter culturalité, santé, santé mentale. Dans la mesure du possible, la programmation de ces textes se fera sur une base annuelle. La rubrique (une page, environ 4 500 signes) sera présentée en partenariat ».
Le « partenariat » a duré un peu plus de deux ans, avec une publication mensuelle d’abord, puis pour un numéro sur deux, puis un peu moins, puis plus rien, Pénombre étant devenue au fil du temps une ressource parmi d’autres pour la revue qui choisissait ses collaborations selon le sujet abordé.
Le format était assez proche de celui des textes courts de la Lettre blanche. La préparation nécessitait des discussions et relectures internes à Pénombre, venant s’ajouter à celles de la Lettre blanche puisqu’il s’agissait de textes originaux et parfois de commandes liées au thème d’un numéro de la revue. La rubrique « le chiffre du mois » était accompagnée d’un dessin humoristique. L’exemple qui suit a été retenu puisqu’il se trouve qu’il est devenu quelques années plus tard un des sujets favoris de Pénombre, repris par d’autres auteurs pénombriens (voir ici page 13).
La rédaction
Pénombre, Juin 2011
À la suite d’un rapport de l’OMS paru en 1998, un spécialiste de nutrition qualifiait l’obésité, en raison de ses retombées en matière de santé publique, de « première épidémie non infectieuse de l’histoire » (Le Monde, 14 mars 2000). Le phénomène est bien connu dans certaines régions du monde, notamment aux États-Unis, mais serait aussi de plus en plus important en France, où il gagnerait une part croissante des jeunes. Mais comment fait-on pour diagnostiquer l’obésité ? Pour disposer de mesures objectives, les spécialistes ont élaboré l’indice de masse corporelle (IMC) qui est le quotient du poids (en kilos) et du carré de la taille (en mètres). Chez l’adolescent et l’adulte, on parle de surpoids si l’IMC est compris entre 25 et 30, et d’obésité s’il est supérieur à 30, ces seuils étant indépendants de l’âge et du sexe. Si chacun peut calculer facilement son IMC, comment faire pour une population entière ? Pratiquement, il s’agit d’effectuer un sondage pour peser et mesurer un échantillon représentatif. Ainsi selon une enquête réalisée par l’Inserm en 2000, demandant aux gens de se peser et de se mesurer le jour même, on dénombrerait en France 17 millions d’adultes obèses ou en surpoids, dont 4 millions d’obèses.
D’après une enquête effectuée en 2001 lors de la JAPD (Journée d’Appel de Préparation à la Défense, qui remplace feu « les trois jours »), dans laquelle on demandait aux jeunes d’indiquer leurs poids et tailles, l’obésité touche moins de 1 % des 17-18 ans, sans différence entre les sexes. Le surpoids est plus fréquent : 7 % des garçons et 5 % des filles. C’est en fait surtout avec l’âge que l’obésité devient fré¬quente : selon une autre enquête déclarative (le Baromètre Santé 2000, du CFES), la proportion d’obèses augmente en effet continûment avec l’âge pour atteindre 12 % chez les 55-75 ans. Il n’en reste pas moins vrai que la proportion d’obèses chez les jeunes ne cesse d’augmenter depuis quelques années.
Remarquons toutefois que l’obésité n’est pas le plus gros problème que rencontrent les jeunes à la fin de l’adolescence, au contraire : 22 % des filles et 8 % des garçons ont un IMC inférieur à la normale (IMC < 18,5), score qui, selon les spécialistes, fait également courir des risques importants pour la santé. Bien sûr, de tels résultats établis à partir de déclarations volontaires restent soumis à l’appréciation des individus. Celle-ci peut subir le poids d’une société qui valorise la sveltesse et a tendance à l’imposer comme critère esthétique, notamment pour les femmes, contribuant à agrandir une sorte de « fracture pondérale » entre ceux qui peuvent être sveltes et les autres. Pour preuve, dans la même enquête, à peine plus de deux filles « maigres » sur dix déclarent se trouver un peu ou beaucoup trop maigres (contre près de six garçons « maigres » sur dix), 12 % allant même jusqu’à se trouver un peu ou beaucoup trop grosses... Voilà un argument de poids pour défendre l’idée que les plus gros problèmes de corpulence ne se rencontrent pas toujours chez les obèses.
Stéphane Legleye, Patrick Peretti-Watel
L’école des parents n°6, décembre 2001 janvier 2002, page 56.