Dans la Lettre blanche n°50 (janvier 2009), nous vous proposions de participer à une collaboration avec la revue Phosphore, mensuel destiné à des jeunes lycéens, en écrivant des articles de 1 000 signes pour décrypter un nombre qui a circulé dans les médias. Cette collaboration s’est doucement éteinte au bout de deux ans. Retour sur expérience…
La page à laquelle nous participions avait pour titre : « esprit critique », avec une grande moitié supérieure de cette page consacrée à une « image décodée », et le reste partagé entre « le mot » et « le chiffre ». Une structure nous était imposée (cf. ci-dessous) : en titre, un nombre, puis une première phrase en gras qui introduit la critique du nombre, avec une consigne claire : en mille signes, une seule idée !
Difficile pour les contributeurs des lettres blanches ou grises, vous pouvez l’imaginer ! Écrire dans les délais, sur des sujets qui passionneront des lycéens, des articles très courts pour rendre compte de la complexité d’un nombre médiatique, ce n’était pas franchement dans nos habitudes...
Mais certains se sont quand même lancés ! Le résultat nous a souvent déçus : les allers et retours des textes entre l’auteur initial, les membres du Conseil de Pénombre intéressés par le sujet et la rédaction de Phosphore ont pris souvent beaucoup trop de temps pour un résultat peu satisfaisant. Mais les débats autour de ces petits textes, sur le forum par exemple, ont été plutôt fructueux. Par exemple, l’article sur les 63 185 925 habitants en France (avril 2009) a permis que, en mars 2010, Pénombre vous propose quelque chose de plus complet sur le recensement (Lettre blanche n°52)…
Depuis septembre 2008, une quinzaine d’articles a été proposée, une douzaine acceptée par Phosphore, et huit articles signés Pénombre ont été publiés. Puis la fatigue est venue, d’un côté comme de l’autre, la rédaction de Phosphore trouvant plus simple d’écrire elle-même des textes, avec moins d’exigence de rigueur, plus de rapidité et de souplesse, et les bonnes volontés à Pénombre étant déçues de ne décidément pas arriver à faire des 1 000 signes très actuels, jeunes, percutants, et en même temps rigoureux, subtils, nuancés… et surtout publiés sans retouche ! Voici un exemple de ces 1 000 signes publiés dans Phosphore, en deux versions, celle proposée par Pénombre d’abord et celle effectivement publiée dans la revue ensuite.
Pénombre, Juin 2011
Dans Médecins du Monde (n°94, 03/09, page 2), vous lisez, écrit en gras : « 15 %, c’est le taux de suicide chez les SDF, soit sept fois plus qu’en prison ». Que pouvez-vous comprendre ? Quel est ce taux de suicide ? Peut-être un « taux de mortalité par suicide » ? On appelle ainsi le nombre de décès par suicide divisé par l’effectif de la population qui y est exposée. Mais le 15 % vous arrête, il est beaucoup trop grand. En prison, ce nombre est d’environ 2 pour mille.
En lisant l’étude citée, vous comprenez que ce 15 % est en réalité la proportion des suicides parmi les décès étudiés. Mais cette proportion en prison est de l’ordre de 50 %, cela ne va pas non plus. Vous vous demandez comment a pu éclore un titre aussi insensé ? Voici notre explication : le rédacteur de la page a survolé l’étude, accroché les mots « taux de suicide de 15 % », trouvé en quelques clics un taux de mortalité par suicide en prison de 2 ‰, l’a lu comme un 2 %, et a fait la division, sans se poser aucune des questions qu’heureusement vous, vous vous posez…
Ce chiffre est présenté comme « le taux de suicide chez les SDF » par Médecins du Monde, qui précise : « soit sept fois plus qu’en prison », dans sa revue (n°94, 03/09, page 2). Mais enfin, sur 100 SDF, 15 ne peuvent tout de même pas s’être tués dans l’année. Explication : En lisant l’étude citée, on comprend que ce 15 % est en réalité la proportion des suicides parmi les décès relevés. Il n’en reste pas moins que ce « soit sept fois plus en prison » est fantaisiste car cette proportion y est d’environ 50 %, puisqu’un détenu retrouvé mort sur deux s’est suicidé.
Alors, comment a pu éclore un titre aussi insensé ? Sans doute, le rédacteur de la page a-t-il survolé l’étude, accroché les mots « taux de suicide de 15 % », trouvé en quelques clics un taux de mortalité par suicide en prison de 2 ‰ (deux pour mille), l’a lu comme un 2 %, et a fait la division, sans se poser la moindre question.