Au printemps de chaque année, les médias nous parlent du " racisme " des Français, à la suite de la publication des résultats de l’enquête sur le sujet effectuée en octobre de l’année précédente, à la demande de la Commission nationale consultative des Droits de l’Homme (CNCDH). Pendant longtemps ce terme de " racisme " désignait la croyance dans l’inégalité des " races " et une attitude conséquente. Aujourd’hui il tend à désigner toute attitude hostile vis-à-vis d’un groupe, la xénophobie quand il s’agit d’étrangers. Cette inflation verbale pourrait ne désespérer que les linguistes si malheureusement elle n’aboutissait à mettre au même niveau le " racisme anti-jeunes " et la politique d’élimination des " races inférieures " des Nazis. Mais il faut faire avec.
De cette enquête très détaillée, les médias, et particulièrement les JT de 20 heures ont tendance à ne retenir que le plus spectaculaire, à savoir la proportion de personnes qui disent être racistes et sa variation par rapport à l’année précédente. Ainsi, en mars 2001, nous a-t-on annoncé, à la suite de l’enquête de 2000, que 7 Français sur 10 étaient racistes et, pire, que cette proportion était en augmentation. Dans un premier temps on est sonné : on est donc si méchant que ça ? Dans un deuxième temps on se demande comment ce racisme envahissant ne donne pas lieu dans notre pays à des " ratonnades " comme il y en a eu dernièrement en Espagne ou assez régulièrement dans l’ex-Allemagne de l’Est, ou à des " émeutes raciales " comme récemment en Angleterre.
Regardons de plus près, c’est-à-dire, le rapport d’activité de 2000 de la CNCDH1 qui donne les détails sur cette enquête ainsi que de nombreuses informations en lien avec le sujet. La question en cause est formulée de la façon suivante : " En ce qui vous concerne personnellement, diriez-vous de vous même que vous êtes : plutôt, un peu, pas très, pas du tout, raciste (ou ne se prononce pas, NSPP) ? "
Le résultat de 2000, qui est plus précisément de 69 %, est la somme de 12 % de "plutôt racistes", de 31 % "un peu racistes" et de 26 % "pas très racistes". Sont-ils tous à mettre dans le même sac ?
Sur le graphique qui reproduit l’évolution de ces diverses proportions de "racistes" depuis 1990, date de la première enquête, on constate effectivement des changements d’une année à l’autre. Ces variations sont-elles significatives ? Cette enquête, comme de nombreux autres sondages d’opinion, n’est effectuée qu’auprès d’un millier de personnes. De ce fait, il est impossible de dire qu’une variation de 2 ou 3 points traduit une réalité : elle peut aussi bien relever du simple hasard. La seule attitude sensée est de s’attacher à l’ensemble des chiffres de cette dizaine d’années. Ceux-ci ne permettent pas de conclure à une modification fondamentale d’attitude face à cette question.
Un autre doute vient à l’esprit. Que signifie " je suis raciste " ? On a tendance à notre époque, où la xénophobie est stigmatisée, à penser qu’une telle déclaration ne peut qu’être condamnable. Or, quand quelqu’un dit " je suis méchant ", il peut manifester par là, certes, une attitude d’hostilité mais aussi un aveu de faiblesse impliquant promesse d’amendement. Pourquoi n’en serait-il pas de même pour les personnes qui se disent racistes et particulièrement pour les " pas très racistes " ? Bref, cette question retenue en premier par les médias est sûrement celle qu’il faudrait retenir en dernier ou… pas du tout.
Il faut évidemment analyser l’ensemble des résultats de cette enquête. C’est ce qui est fait dans le rapport de la CNCDH par Nonna Mayer et Guy Michelat, lesquels aboutissent à la conclusion que la xénophobie, loin d’augmenter, recule. Ainsi, concernant les Arabes, communauté la plus discriminée, le pourcentage de personnes qui trouvent qu’il y en a trop est en baisse constante, passant de 76 % en 1990 à 63 % en 2000. Plus intéressant encore, cette opinion générale, qui reste très négative, n’est pas confirmée quand on envisage des situations concrètes, puisqu’il n’y a plus que (en 2000) 11 % des personnes interrogées à trouver qu’il y a trop de présentateurs d’origine maghrébine à la télé et plus que 8 % qu’il y en a trop dans la police.
Bref la situation n’est pas celle présentée à la une des JT. Tout n’est pas non plus parfait. On peut néanmoins voir qu’en France la diversification de la société ne se traduit pas comme parfois ailleurs par la montée de la xénophobie mais par une plus grande acceptation des différences.
Alfred Dittgen
1 Commission nationale consultative des Droits de l’Homme, La lutte contre le racisme et la xénophobie. Rapport d’activité 2000, La Documentation française, 2001.
Pénombre, Janvier 2002