Pénombre, la vie publique du nombre

Très précisément pauvres

Il y a " 13 983 pauvres dans la Vienne ". Pas un de moins, pas un de plus. C’est ce que nous apprend Centre Presse (19 septembre 2001). Quand on lit l’article, on s’aperçoit qu’on a dénombré en fait 13 983 familles pauvres : il y a donc encore plus de personnes pauvres que ce que le titre annonçait. (Mais, baste ! le titreur s’est " planté " : on a l’habitude.) Reste que l’étude est d’une admirable précision : ainsi, on nous apprend que 26,45 % des familles agricoles sont pauvres. Deux chiffres après la virgule.

Ce chiffrage apparemment fort précis émane de l’Insee de Poitou-Charente. La veille, La Nouvelle République avait repris l’annonce de 61 632 familles pauvres pour l’ensemble de la Région. Fortiches, ces statisticiens !

Or, sachez, bonnes gens, que :

 - sont ici qualifiées " pauvres " les personnes dont les revenus sont inférieurs à un certain " seuil de pauvreté " choisi arbitrairement. Ce qui fait que ce que le terme " pauvre " veut dire dépend largement de la convention qu’on s’est donnée ;

 - que les revenus des gens sont difficiles à connaître précisément : parce qu’ils ne les disent pas, parce qu’on laisse parfois certains éléments de côté, et que de toute façon, passer du revenu au niveau de vie dépend d’autres éléments : tels que d’être propriétaire de son logement, d’avoir un jardin, etc. ;

 - que pour rendre un peu comparable les revenus de familles de taille différente, on divise forfaitairement ce revenu par un nombre " d’unités de consommation " : échelle approximative, dont du reste différentes versions ont pu être données, ce qui montre bien la part d’indétermination que l’exercice comporte ;

 - que le revenu d’une personne ou d’une famille varie plus ou moins au cours du temps, de sorte qu’une part peut-être minoritaire mais non négligeable des personnes et des familles en cause passe à tout moment du dessous au-dessus du fameux seuil de pauvreté ou l’inverse : ce qui fait que, même si la notion voulait dire quelque chose d’objectif et de précis, le décompte exact change tout le temps. Cela rend illusoire de le donner avec trop de chiffres.

Bref, tant l’apparente précision donnée à ces résultats, que même ce qu’ils veulent dire sont tout à fait sujets à caution.

Stéphane Noir

 
Pénombre, Janvier 2002