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Lettré le Guéant

DANS LA COLLECTION INSEE Références le volume « Les immigrés en France », édition de 2005, contient une fiche consacrée à l’éducation et la maîtrise de la langue. Page 98 on peut lire : « Les enfants de famille immigrée sortent aussi presque deux fois plus souvent du système éducatif sans qualification. »

Un tableau confirme cette assertion : 10,7 % des enfants de famille immigrée entrés en 6e en 1995 sont sortis sans diplôme du système scolaire, contre 6,1 % pour les enfants de famille non immigrée. Le texte nous apprend également que les enfants de famille immigrée représentent près de 10 % des entrants en 6e.

Pour simplifier la présentation, nous supposerons que la population totale entrée en 6e cette année-là est de 1 000 enfants :
100 issus de famille immigrée (FI) et 900 issus de famille non immigrée (FNI).
11 % des enfants issus de FI sortent sans diplôme, contre 6 % de ceux issus de FNI.
La population des enfants sortis sans diplôme du système scolaire est donc composée de 11 enfants de FI et 54 enfants de FNI, soit 65 enfants.
Les enfants d’immigrés représentent donc 17 % des échecs scolaires et les enfants de FNI, 83 %.

Ces informations statistiques ont mûri pendant six ans, naviguant d’un auteur à l’autre, jusqu’à tomber dans l’oreille du ministre de l’Intérieur. Cherchant des arguments notamment statistiques illustrant l’échec de la politique d’intégration et justifiant sa politique d’expulsion, le ministre nous gratifie sur Europe 1 le 22 mai 2011 d’une interprétation intéressante de cette étude : « les deux tiers des échecs scolaires, c’est l’échec d’enfants d’immigrés. »

Il est difficile d’imaginer une lecture plus fausse de l’article présenté plus haut. Le ministre de l’Intérieur s’est-il fait piéger par la phrase sans doute maladroite de l’étude : « Les enfants de famille immigrée sortent aussi presque deux fois plus souvent du système éducatif sans qualification. » On aurait donc deux échecs d’enfants d’immigrés pour un échec d’enfant non immigré… Trois jours plus tard, interpellé devant l’Assemblée nationale sur ses propos radiodiffusés, Monsieur Guéant persiste : « C’est vrai, et je cite les chiffres de l’Insee, que deux tiers des enfants d’immigrés sortent de l’appareil scolaire sans diplôme ». Empêtré dans sa règle de trois (qui n’en est d’ailleurs pas une ici) le ministre se dédit, donc, et tord la réalité de telle sorte que sa totale incompréhension du raisonnement statistique présenté plus haut (pourtant accessible à un enfant de 6e) apparaît au grand jour.

Erreur ou mauvaise foi caractérisée ? Rappelons que Monsieur Guéant sait au moins compter jusqu’à 30 000, le nombre d’étrangers qu’il s’est engagé à expulser en 2011, qu’il sait diviser par deux les emplois accessibles aux étrangers (février 2011), qu‘il sait multiplier les effectifs de police comme personne, qu’il sait extraire les racines du mal sans calculette et qu’il prépare dès octobre son annonce du mois de janvier prochain sur la baisse d’un certain nombre de pour cent de la délinquance enregistrée en 2011.

L’hypothèse de l’erreur ne tient donc pas, d’autant que le ministre compte dans son cabinet au moins dix-huit conseillers, dont aucun n’est sorti sans diplôme du système scolaire.

Alors oui, mauvaise foi, ou plutôt non, invention de la sale blague de comptoir statistique. L’affirmation chiffrée de l’actuel ministre de l’Intérieur apparaît comme la version « scientifique » de la fameuse boutade de son prédécesseur : « quand il n’y en a qu’un ça va, c’est quand il y en a beaucoup qu’il y a des problèmes ». Gageons que cette apparente scientificité protégera M. Guéant des déboires judiciaires qu’a connus le précédent.

Tom Doniphon
Octobre 2011

 

« L’immigration légale concerne 200 000 personnes par an, soit la population d’une ville comme Rennes. Nous souhaitons la réduire. »
Claude Guéant, devant le Sénat, 2 décembre 2011.
Pénombre entend apporter tout son soutien à la population de Rennes, immigrée ou non, face à cette menace de réduction. Et de même pour les villes de taille équivalente qui désormais se sentent menacées.