"Quatre-vingt-dix pour cent des gens te diront comme moi que…". Quotidiennement, ce début de phrase proféré par mon époux est censé conférer plus de poids aux vérités qu’il s’apprête à m’asséner. Pourtant c’est un homme de l’art, puisqu’il est statisticien de son état…
Ce véritable professionnel adepte du chiffre juste lors de la rédaction d’un article ou d’une note, peut perdre toute notion de mesure si son honneur est en jeu en milieu domestique, surtout devant une femme. Car une statisticienne rentrée chez elle n’est plus qu’une femme.
Ainsi un soir où je venais de déposer sur la table un poulet rôti entouré de haricots verts, lui annonçant que j’entamais un petit régime et qu’on m’avait déconseillé le porc, il me considéra avec mépris :
- Quatre-vingt-dix pour cent des gens te diront que le porc est moins gras que le poulet :
- Et quelles sont tes sources ? lui demandai-je.
- Je le sais parce que… tout le monde le sait, c’est une évidence ! Je ne sais pas qui te conseille pour ton régime, tu ferais mieux de me demander.
Le surlendemain soir, j’arborai fièrement une nouvelle couleur de cheveux, d’un rouge sulfureux. J’avais décidé de maigrir et de changer de look par la même occasion ; de devenir une femme nouvelle, quoi !
- Tu vas t’esquinter le cuir chevelu, et tu finiras chauve si tu continues à te mettre des produits chimiques sur le crâne.
- Ça ne te plaît pas ? Ça change, non ?
- Quatre-vingt-dix pour cent des dermatos te diront que les teintures précipitent la chute des cheveux et qu’elles sont cancérigènes par-dessus le marché :
Mon mari est un statisticien, mais je l’aime !
Anne-Marie Vespa
Pénombre, Mars 2000