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On peut être partagé, mais il faut éviter d’être mis en pièces

Les statisticiens de la population ont l’habitude, pour rendre compte des conditions d’habitat, de rapporter le nombre d’occupants des logements au nombre de pièces de ces mêmes logements. Considérons une commune de 8 500 habitants et de 1 000 logements habités et admettons que ces logements totalisent à eux tous 3 000 pièces. Cela donne : 8 500 divisé par 3 000, égal 2,5 personnes en moyenne par pièce. Résultat que l’on obtient aussi en divisant le nombre moyen de personnes par logement par le nombre moyen de pièces par logement : 8,5 divisé par 3. Ce résultat bien qu’étant une moyenne, donc une valeur qui n’est pas concrète, est néanmoins facilement compréhensible : on comprend qu’il y a très souvent 2 à 3 personnes par pièce.

En France au recensement de 1999, on a compté 2,4 personnes en moyenne par logement et 3,9 pièces, ce qui amène à lire dans les publications de l’Insee qu’il y a 0,62 personne par pièce (2,4 divisé par 3,9) ! Il s’agit encore d’une moyenne, mais difficilement compréhensible. Moins d’une personne c’est quoi ? Le tronc avec la tête sans les membres, le tronc avec les jambes sans la tête et les bras ?

Pour éviter ce dépeçage, il suffirait de faire l’inverse : rapporter le nombre moyen de pièces au nombre moyen de personnes. Cela donne dans cet exemple : 3,9 divisé par 2,4, égal 1,6. On imagine facilement : la plupart des personnes disposent de plus d’une pièce, ou encore, beaucoup disposent d’une ou deux pièces. Cet indice peut, lui aussi, conduire à des résultats inférieurs à l’unité. C’est le cas avec les valeurs de l’exemple théorique ci-dessus, où on a : 3 divisé par 8,5, égal 0,35. Mais ici cela ne pose pas de problème, car l’espace peut être divisé, contrairement à l’homme : dans la plupart des cas, une personne doit partager sa pièce avec d’autres.

Pourquoi alors continuer à utiliser le premier indice, qui avait du sens aussi longtemps que le nombre de personnes était supérieur au nombre de pièces, mais est difficilement compréhensible maintenant ? Par souci de continuité et de comparaison … ou par paresse ?

D’autres indices habituels peuvent subrepticement perdre leur pertinence du fait de l’évolution des valeurs qui les composent. Ainsi le taux de mortalité infantile, qui est le rapport des décès de la première année de vie sur les naissances. Cet indicateur, classiquement exprimé en « pour 1000 », pouvait atteindre par le passé 200 ou 300 pour 1 000, ou encore après la Guerre : 50 pour 1000. C’était clair. A l’heure actuelle dans les pays occidentaux, il est faible et on est obligé de mettre des virgules pour suivre ses variations : 4,6 pour 1 000 en 1998, 4,3 pour 1 000 en 1999, là aussi, de découper les personnes, les bébés en l’occurrence. 

Alfred Dittgen, démographe
 

P.S. Cet article était écrit quand j’ai lu dans le supplément Economie du Monde du 3 septembre 2002, à propos des produits défectueux dans l’industrie. « Les échelles de mesure ont changé. Alors que l’on calculait en pourcentage, on raisonne désormais en nombre de défauts par millions ». Comme quoi, il n’y a pas que les démographes qui doivent réviser leurs indices.

 
 
Pénombre, Octobre 2002