Les personnes qui s’engagent dans un mouvement social, un mouvement sociétal, évoluent de jour en jour, voire d’heure en heure, au fil de l’expérience qu’elles vivent, dans laquelle elles s’impliquent directement. Cela se voit aussi en regardant ceux et celles qui entrent dans l’action, en sortent, modifient leurs degrés et formes d’engagement. Pour les chercheurs, recueillir des informations pertinentes à l’analyse d’un mouvement, le caractériser à chaud, sont de ce fait des exercices difficiles. Cette difficulté implique une communication qui corresponde à la qualité de ce qui est mis dans le débat public.
À l’impossibilité (ou presque) de caractériser avec pertinence et à chaud un mouvement social… nul n’est tenu. Il nous a pourtant bien fallu constater que beaucoup s’y sont risqués. De même, c’est dans la foulée qu’ont été portées des critiques d’analyses critiquables. Tout cela a été porté par des personnes qui ont voulu apporter au plus vite des éléments indispensables à la réflexion collective. Et on a vu que le temps court n’a pas que des vertus. Mais comment faire lorsque le temps du débat public est devenu celui de l’immédiateté ? Comment trancher entre un « vite et pas bien » et un « lentement et avec qualité » ? Il n’y a pas de bonne réponse pour tous les cas. Il y en a beaucoup de mauvaises, et on en a vu plusieurs.
Cela écrit, je voudrais aussi relever des choses particulières qui m’ont titillé, tant dans l’étude « à chaud » des « chercheurs » que dans les commentaires à l’article de Pénombre que Michel Gollac a pris le temps de faire.
D’abord, les « chercheurs » ont pu dire des choses justes sur qui était impliqué dans le mouvement. L’information qu’ils ont recueillie, là où ils ont interrogé les « Gilets jaunes » et au moment où ils l’ont fait, leur a sûrement apporté de la « nourriture pour réfléchir ». Ce qui pose question, c’est pourquoi ils ont décidé de dire ces choses à partir de la seule mise en spectacle des données chiffrées recueillies... qui ne permettaient pas de dire avec l’assurance qu’ils ont utilisée ce qu’ils mettaient dans le débat public. Pourquoi n’avoir pas utilisé d’autres outils pour soutenir leurs analyses, outils que les sociologues peuvent mobiliser ?
Ensuite, lorsqu’on participe à une mobilisation, c’est l’unité de ceux qui y participent qui prime, car cela est considéré par ceux dans l’action comme le plus favorable au rapport de force. Par exemple, ce n’est pas pendant une grève qu’on exprime un éventuel racisme ou revendique une identité qui exclurait l’autre. Le fait qu’après les tous premiers jours de leur mobilisation, les « Gilets jaunes » ont concentré leur discours, leurs réponses aux questions, sur ce qui renforçait l’unité dit une chose (que la sociologie sait traiter), chacun pioche dans la diversité de ce qui fait son identité les éléments à mettre en avant à chaque moment. Il est bien, pour les questions sensibles, de ne pas tout prendre au premier degré et de valider par d’autres questions les hypothèses d’interprétation d’une première réponse. Je ne sais pas si cela a été fait, mais en tout cas, je pense n’avoir pas vu cela.
Enfin, sur un élément de la critique que fait Michel Gollac de l’article initial, il me semble que le temps de la rigueur sociologique n’est pas forcément différent du temps de la rigueur statistique. Ce n’est pas un temps court, en tout cas pas pour l’analyse du mouvement des « Gilets jaunes » ! Aller vite devrait donner l’obligation de s’exprimer avec une prudence qui corresponde à la fragilité des analyses qu’on porte dans le débat public. Pas très porteur pour les grands médias ? Probablement ! Encore une difficulté, évidemment !
Jee Airesse