Dans l’enquête sur les « Gilets jaunes » évoquée plus haut, je note que la catégorie socio-professionnelle la plus représentée est celle des employés, lesquels représentent un tiers du total et pas loin de la moitié des actifs – personnes qui ont ou recherchent un emploi – de ce groupe, 45 %.
En parlant d’employés les auteurs de cette étude reprennent la nomenclature des professions et catégories socioprofessionnelles de l’Insee. Celle-ci part d’une classification des actifs en 486 professions. Si on avait utilisé cette liste pour les 124 actifs interrogés, cela n’aurait évidemment pas conduit à une statistique. En fait, cette classification ne sert que pour l’exploitation du recensement, dont les résultats fournis ensuite sont regroupés en catégories socioprofessionnelles, selon le cas, en 31, 18 ou 6 postes. Ces regroupements sont utilisés également dans les enquêtes, très souvent celui en six postes, comme ici. Pour les lecteurs qui n’en seraient pas familiers, ces 6 catégories sont : Agriculteurs exploitants, Artisans, commerçants et chefs d’entreprise, Cadres et professions intellectuelles supérieures, Professions intermédiaires, Employés, Ouvriers.
Les deux premières ne sont pas très homogènes d’un point de vue socio-économique. Un céréalier de la Beauce n’a pas le même niveau de vie qu’un petit éleveur de biques du Larzac. Idem pour le patron de Renault-Nissan et l’épicier du coin. Mais les personnes de chacune de ces catégories ont une caractéristique commune, le fait d’être entrepreneurs, dans le monde rural d’un côté, dans le monde industriel et commercial de l’autre. Par contre, les catégories Cadres et Ouvriers, rassemblent chacune des travailleurs aux niveaux de vie proches. Il en est de même de Professions intermédiaires, qui, comme son nom l’indique, se situe entre les deux précédentes.
Mais les Employés c’est quoi ? Cette catégorie est très composite. Elle comprend à la fois des fonctionnaires, avec des conditions de travail « normales », et des caissières de supermarché en CDD, au quasi travail à la chaîne, avec des horaires décalés. Ou encore des travailleurs avec une grande professionnalité, comme les pompiers, et d’autres dont le boulot demande peu de qualification, comme les personnes qui font du ménage à domicile. On a l’impression que la seule chose qui rassemble tous ces gens, c’est le terme « employé », qui n’a pas grand sens, ou trop de sens, puisqu’un salarié est toujours « employé » par un « employeur ».
En fait, on a rassemblé dans ce groupe des personnes dont le niveau socio-économique et les compétences professionnelles sont proches de ceux des Professions intermédiaires et d’autres qui, de ce point de vue, s’apparentent aux Ouvriers, voire sont moins bien lotis que certains de ce groupe. J’avais ainsi relaté dans un article précédent le cas de deux dames qui avaient perdu leur emploi dans l’industrie et qui en avaient retrouvé un comme agent d’entretien dans un hôtel. Leur boulot avait perdu en technicité, leur salaire avait baissé, leurs avantages acquis dans l’ancien emploi aussi, mais elles étaient montées de la catégorie d’ouvrier à la catégorie d’employé !
Quand on classe l’ensemble de la population, et non les seuls actifs, on ajoute aux 6 catégories précédentes deux autres de ce niveau de regroupement : Retraités et Inactifs. Dans le cas présent, elles ont été fusionnées. Ma critique ici ne concerne pas les statisticiens auteurs des regroupements, mais ceux qui s’en servent. Les retraités ont certes en commun d’être payés à ne rien faire – cher lecteur, ne t’offusque pas, j’en fais partie –, mais ce n’est pas une raison pour les mettre dans le même sac : on pourrait alors regrouper également « ceux qui sont payés à faire quelque chose ». Les retraités sont socialement et économiquement aussi divers que les actifs. Un cadre retraité est plus proche d’un cadre actif que d’un ouvrier retraité. Il serait donc logique, au lieu de se contenter de ce Retraités « fourre-tout », d’utiliser les catégories Anciens agriculteurs exploitants, Anciens ouvriers, etc., des regroupements en 18 ou 31 postes. C’est malheureusement rarement fait.
De ce point de vue le Cevipof fait heureusement exception, puisque dans ses travaux et en particulier dans un dernier Baromètre, en décembre 2018, sur la confiance politique et les attitudes face aux « Gilets jaunes », « les retraités sont classés en fonction de leur dernière activité professionnelle ». Par ailleurs il s’affranchit des catégories de l’Insee en regroupant la population en trois catégories : « Les catégories populaires [qui] comprennent les ouvriers, les employés du privé comme du public, et les artisans-commerçants ne disposant pas de personnel. Les catégories moyennes [qui] recouvrent les artisans-commerçants ayant des salariés, les femmes au foyer, les étudiants, les professeurs des écoles, les enseignants du second degré, les maîtres de conférence, les officiers, les journalistes, les professions intermédiaires du privé comme du public et, par défaut, les agriculteurs. Les catégories supérieures [qui] sont composées des cadres du privé, des industriels et gros commerçants, des patrons de TPE, des professions libérales, des cadres des trois fonctions publiques, à l’exception des enseignants, et des entreprises publiques, des permanents politiques, des universitaires de rang A, des intellectuels et artistes. »
On pourra trouver bien à redire à cette classification. En particulier au fait que les employés y sont pris en bloc, ce que je dénonce précisément ici, mais celle-ci me paraît plus apte à saisir la variation des attitudes sociales que les six catégories habituelles de l’Insee. Le Cevipof précise d’ailleurs que « cette grille de lecture n’est évidemment pas parfaite ».
Alfred Dittgen