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Trafiquer, la belle affaire !

Lorsque j’ai consulté l’ouvrage de référence en matière des très médiatiques statistiques de la délinquance : " Aspects de la criminalité et de la délinquance constatées en France ", pour l’année 2000, quelle n’a pas été ma surprise de constater que dans la rubrique " infractions à la législation sur les stupéfiants ", le volume des faits constatés de " trafic et revente sans usage ", avait drastiquement baissé, passant de 12 529 à 4 254 faits. Ainsi les faits constatés par les services de police et de gendarmerie, en cette matière, auraient chuté de 8 275, soit de 66 % en un an. Les commentaires qui accompagnent ces tableaux sont, sur ce point, muets : d’ailleurs ils ne portent que sur le total des infractions à la législation sur les stupéfiants " dont la hausse traduit l’implication de la police et de la gendarmerie dans ce domaine ", ou sur d’autres statistiques, non présentées, qui sont celles de l’Office Central pour la Répression du Trafic Illicite des Stupéfiants (OCRTIS).

 

Ce sont les talibans ?

Je me mis à imaginer que les forces répressives ne s’intéressaient plus aux trafiquants, ou que la politique des talibans avait eu des répercussions jusque sur le marché français, ou encore que la loi sur la présomption d’innocence avait, par anticipation, alourdi le travail des services de telle sorte que le nombre des enquêtes avait chuté très fortement.

Cependant avant de gamberger plaisamment sur toutes ces hypothèses, il fallait regarder d’un peu plus près les chiffres. Peut-être que les faits de trafic avaient glissé d’un poste de la nomenclature à un autre ? Effectivement le poste " autres infractions à la législation sur les stupéfiants " s’est accru de 108 %. Cependant cet accroissement pour étonnant qu’il soit, concerne en tout 3 686 faits, soit moins de la moitié de ce que je cherche à expliquer.

 

Non, ce sont les gendarmes !

Or il se trouve que depuis l’année 2000 précisément, il existe un tableau qui ventile les faits par type de services de constatation, police d’une part et gendarmerie d’autre part. Il était donc intéressant de voir si cette évolution se retrouvait dans les services de police comme de gendarmerie. Or le poste " trafic, revente sans usage " est pratiquement constant pour la police nationale (+ 0,15 %) alors qu’il montre une diminution de 90 % pour la gendarmerie soit 8 280 faits constatés en moins. Je tenais un présumé coupable !

Une enquête minutieuse menée par téléphone, me fournit l’explication suivante : la gendarmerie a modifié ses règles de comptage entre 1999 et 2000. La règle de comptage statistique veut qu’en matière de trafic de stupéfiants, l’unité de compte des faits constatés soit la procédure et non pas le nombre de personnes impliquées dans ce trafic, alors que pour une affaire d’usage-revente par exemple, il y a un fait constaté par auteur impliqué dans l’affaire.

Or jusqu’en 1999, et contrairement à la police, la gendarmerie comptait des personnes et depuis 2000, elle compte des procédures ; la différence peut être de taille, surtout pour le trafic de stupéfiants dont les procédures mettent parfois en cause un grand nombre de personnes.

Il reste que le nombre de personnes mises en cause par la police et la gendarmerie, pour " trafic ", a diminué de 5 267 entre 1999 et 2000, alors que le nombre de personnes mises en cause pour " autres infractions à la législation sur les stupéfiants " a augmenté de 3 360. Alors finalement, ça monte ou ça baisse ? Encore une fois, l’intérêt d’un chiffre est la discussion qu’il suscite. More research is needed !

Marie-Danièle Barré

 
Pénombre, Avril 2002