Fin mai, un rapport parlementaire consacré à la pénibilité du travail1 s’est efforcé de montrer l’illégitimité des départs anticipés liés aux conditions de travail. Certains arguments utilisés ouvrent aux sciences sociales des pistes inattendues. On apprend ainsi :
- que la dégradation des conditions de travail, de l’avis « unanime », est due aux 35 heures ; toutefois, note le même passage du rapport, citant la DARES, « l’intensification du travail marque le pas : en 2005, 48 % des salariés déclarent devoir se dépêcher "toujours ou souvent" dans le travail, soit quatre points de moins qu’en 1998 ». Rassemblons nos souvenirs : de quand, au juste, date la RTT ?
- que l’écrasante majorité des salariés « ne souhaitent pas » un départ anticipé ; la source utilisée est ici l’enquête SVP50 (santé et vie professionnelle après 50 ans) ; or cette enquête parle, non des souhaits, mais des intentions ; lesquelles supposent le souhait, mais aussi… les moyens financiers, d’un départ précoce.
- que « la forte croissance de la pénibilité psychique et la réduction de la pénibilité physique classique pourraient déboucher dans dix à vingt ans sur un renversement des données concernant l’espérance de vie comparée des ouvriers et des cadres » ; et de se référer à deux études, de l’INSEE et de l’INED respectivement2, dont la confrontation semblerait indiquer que l’écart entre catégories se resserre.
Les parlementaires ont ici rapproché deux sources non comparables, et trop vite lu les études : les estimations de l’INSEE sont basées sur des périodes d’enregistrement des décès de 10 ans, les auteurs de l’étude de l’INED ont utilisé une période plus courte (4 ans) et plus récente, cohérente avec leur calcul d’espérance de vie sans incapacité, et indiquaient d’ailleurs dans leur texte que les « écarts […] ne semblent pas s’être réduits au cours des dernières décennies » : les différences de méthode ne leur permettaient pas de conclure plus précisément. On signalera au passage aux rédacteurs du rapport qu’en tout état de cause ces écarts sont de sept ans aujourd’hui ; l’inversion dans dix à vingt ans supposerait donc… que les ouvriers veuillent bien éviter, tous, de décéder pendant une quinzaine d’années3.
Les historiens qui, dans un siècle ou deux, useraient de ce document pour décrire notre société d’aujourd’hui, auraient quelques motifs de perplexité.
Véronique Merlin
1. http://www.assemblee-nationale.fr/13/rap-info/i0910-tII.asp
2. Cambois et al. « La « double peine » des ouvriers : plus d’années d’incapacité au sein d’une vie plus courte », Population et Sociétés, n° 441, janvier 2008, et, Monteil et al., « Les différences sociales de mortalité : en augmentation chez les hommes, stables chez les femmes », Insee Première, n° 1025, juin 2005.
3. Cette hypothèse a suscité d’ardents débats au sein de la rédaction. Si les ouvriers s’arrêtent de mourir, peut-on calculer leur espérance de vie ??? Le débat reste ouvert… On attend les contributions des démographes !