Pénombre, la vie publique du nombre

Viva el presidente

Un article intitulé « Résultats de sondages contradictoires pour la présidentielle 2007 », que l’on peut lire sur le site du Monde le 9 octobre 2006, s’étonne que les Français préfèrent Nicolas Sarkozy à Ségolène Royal au premier tour, mais que ce soit l’inverse au second. Pour illustrer cette inversion de tendance entre les deux tours, l’article rapporte un sondage CSA effectué pour Le Parisien-Aujourd’hui en France et i-Télé. Selon ce sondage, à la question « Quelle personnalité préféreriez-vous voir élue présidente de la République ? », 49 % des électeurs portent leur choix sur M^me Royal, contre 39 % pour M. Sarkozy.

On peut se demander si la manière dont la question est posée n’a pas influencé la réponse d’une partie des sondés : certes, le terme « personnalité » étant féminin, il faut que la suite de la phrase, pour des raisons d’accord de genre, soit elle aussi au féminin ; mais l’expression « présidente de la République » est suffisamment insolite (aucune femme n’ayant jamais accédé à cette fonction en France) pour qu’on ne puisse s’empêcher de penser à M^me Royal plus qu’à M. Sarkozy dans ce rôle de « présidente ». Il aurait été plus neutre de demander : « Qui préféreriez-vous voir élu président de la République ? », ou encore, si l’on tenait à garder l’expression « personnalité », « Quelle personnalité préféreriez-vous voir élue à la présidence de la République ? ».

Le journaliste n’a, semble-t-il, pas relevé ce problème de mots, pour se focaliser sur les chiffres. L’apparente neutralité des deuxièmes aurait-elle masqué le choix contestable des premiers ? Pourtant, on pourrait imaginer l’interview suivante. Le journaliste : « M. Sarkozy, vous êtes la personnalité que les Français souhaitent voir élue présidente de la République. Qu’en pensez-vous ? ». Réponse de l’interviewé : « Je garde mon sang-froid car M^me Royal est un obstacle que les Français pourraient lui aussi voir élu président de la République ». Surréaliste, non ?

Serge Darriné