--

6,5 millions d’obèses

Le Monde du vendredi 3 décembre 2010 titre : « Tous inégaux devant l’obésité. » « L’obésité touche 6,5 millions d’adultes en France selon la dernière étude ObÉpi financée par le laboratoire pharmaceutique Roche ».

La construction de la population d’obèses est un processus mondialisé. On parle ici de la population française, mais toutes les populations obèses du monde sont aujourd’hui mesurées. 400 millions de personnes seraient touchées actuellement selon l’Organisation mondiale de la santé.

Pour réaliser cette prouesse, il faut disposer de trois éléments clé : des mesures, un indicateur et un critère.

- Les mesures sont ici relativement aisées à collecter : chacun connaît plus ou moins précisément son poids et sa taille.

- L’indicateur a été relativement long à construire. Il s’agit de disposer d’un outil permettant de comparer la « grosseur » des individus, indépendamment de leur taille. Quand vous évaluez la cherté d’un appartement, le prix ne suffit pas, on utilise en général le prix au mètre carré afin de disposer d’un critère de comparaison. Pour ce qui concerne la grosseur des individus, l’indicateur universellement utilisé aujourd’hui est appelé indice de Quételet, du nom de son inventeur ; il est cependant plus connu en France sous le nom d’IMC pour indice de masse corporelle (body mass index en anglais).
L’IMC s’écrit P/T2 et s’exprime en kilogramme par mètre carré.

- Le critère de détermination de l’obésité a connu lui aussi des aléas nombreux. Initialement, on a utilisé la méthode des statistiques descriptives et sa fameuse courbe en cloche. Le seuil de l’obésité peut ainsi se définir comme étant l’IMC séparant les 5 % d’individus les plus gros du reste de la population.

Mais par la suite, ce sont des méthodes actuarielles qui ont été utilisées. Ces méthodes, empruntées aux assureurs, consistent à déterminer statistiquement à partir de quel IMC on constate chez les individus des risques de morbidité ou de mortalité sensiblement supérieurs. Il a ainsi été constaté des risques accrus à partir d’un IMC de 30 kilogrammes par mètre carré. Ce seuil est aujourd’hui adopté universellement pour caractériser l’obésité.

Ces études épidémiologiques sont un outil très utile à la mise en œuvre de politiques de santé publiques. Elles constituent également des études de marché particulièrement alléchantes pour les laboratoires pharmaceutiques (400 millions de malades à l’espérance de vie relativement longue dont la maladie même permet de supposer qu’ils sont solvables, au moins pour une bonne partie).

Mais au cœur de la population ainsi construite se trouve un individu qui, confronté à ce type d’article, sera immanquablement amené à calculer son IMC et, se rendant compte qu’il est obèse, tentera par tous les moyens de sortir de cette catégorie. Pour ce faire, il découvrira rapidement les différents moyens qui s’offrent à lui : régimes plus ou moins radicaux, médicaments, voire chirurgie.

La récente affaire du Médiator et celle de l’isoméride qui l’a précédée (produits utilisés pour leur qualité anorexigène) montrent cependant un biais dans la méthode : est-ce l’obésité qui accroît le risque de mortalité ou le fait d’essayer, par tous les moyens, de quitter cet état ?

Fabrice Leturcq

Pénombre, Juin 2011