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Carte postale (1)

Après la fournaise de la route Salonique-Alexandropolis, le bonheur que c’est de s’asseoir devant une nappe blanche, sur ce petit quai aux pavés lisses et ronds. Pendant un instant, les poissons frits brillent comme des lingots dans nos assiettes, puis le soleil s’abîme derrière une mer violette en tirant à lui toutes les couleurs.

Je pense à ces clameurs lamentables qui dans les civilisations primitives accompagnaient chaque soir la mort de la lumière, et elles me paraissent tout d’un coup si fondées que je me prépare à entendre dans mon dos toute la ville éclater en sanglots.

Mais non. Rien. Ils ont dû s’y faire.

Nicolas Bouvier, « L’usage du monde »

 

Je suis en vacances, en Italie, dans les collines du chianti, il fait beau et la vie est belle. La macelleria de la ville de Greve in Chianti recèle des trésors de saucissons, de jambons et de fromage, je rêve d’un souper pantagruélique bien arrosé… et je peux payer en euros, c’est super ! Je n’ai plus à faire de conversions avec ces milliers de lires qui me donnaient l’impression que de grands nombres peuvent ne rien valoir.

Mais je convertis quand même en francs, pour « voir ».

Le mieux, pour le passage des francs en euros et des euros en francs, c’est de savoir que :
6.55957 = 20/3, et donc, en appelant Pf le prix en francs et Pe le prix en euros de mon prosciutto crodo, Pf = Pe *(20/3),

Ou, si j’appelle Qf le prix en francs et Qe le prix en euros du jambon de Bayonne :
Qe = Qf / (20/3) = Qf * (3/20).

C’est simple comme tout, surtout si je fais cela en deux étapes :
Pf = (Pe * 10) * (2/3)
et Qe= (Qf / 10) / (2/3) = (Qf / 10 )* (3/2).

L’ennui, c’est que je mélange un peu les deux conversions, et j’ai tendance à intervertir les multipli-cations et les divisions : en effet, quand j’étais petite tout était simple :
« Quand on multiplie, ça grandit,
quand on divise, ça diminue ».

Et puis, j’ai appris que quand on multiplie par 2/3, « ça diminue », et quand on divise par 2/3, « ça augmente », alors, dans ces conversions, on multiplie et divise, on augmente et on diminue, c’est un peu la pagaille !

Alors, je reprends, en présentant les choses autrement :
Pf = (Pe*10) * (1-1/3) : j’augmente en multipliant par 10, mais c’est trop, alors j’en soustrais un tiers, et c’est bon ;
Qe = (Qf / 10) * (3/2) = (Qf / 10) * (1 + 1/2). Je dimi-nue en divisant par 10, mais c’est devenu trop petit, alors j’en rajoute une moitié, pour que ça marche.

C’est déjà mieux, je joue à la marchande, mais je confonds les rôles du tiers et de la moitié !

Finalement, j’en reviens au système : quand j’achète quelque chose, en France ou en Italie, je compte Pf = Pe * 7, et si j’en ai vraiment très très envie je compte Pf = Pe * 6, et je me rappelle alors que la table des 7 était beaucoup plus difficile à apprendre que la table des 6 !

La trésorière de Pénombre (Karin van Effenterre
 

PS : De retour à Paris, je n’ai plus de problème, je compte tout en multiples et diviseurs de 23 , montant de la cotisation annuelle à Pénombre.

 
Pénombre, Octobre 2002