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Cherchez la fa(m)ille

Dans Ouest-France (édition St-Brieuc, 5-6 janvier 2002), au-dessus du titre accrocheur " Chéri, où sont passés les gosses ", cette phrase intrigante : " Plus d’une famille sur deux vit sans enfants dans le département ". Il y a de quoi faire sursauter. Donc, je sursaute. En principe, dans une famille, on croit savoir que les enfants sont élevés par leurs parents et donc vivent avec eux. Bon ! il y en a qui sont pensionnaires ou accueillis par un oncle ou une cousine. Mais, pas forcément très loin. Et puis, pas les petits. Mais de là à ce que la moitié des familles aient tous leurs enfants hors du département…

Comme rien n’est indiqué, on peut comprendre que le résultat dont on rend compte est qu’une famille française sur deux expédie ses enfants hors-département. Mais, comme il s’agit d’une édition locale du journal, j’ai un soupçon. Peut-être le journaliste a-t-il voulu dire " Dans le département, une famille sur deux vit sans enfants ". Depuis que je fréquente Pénombre, j’ai appris à me méfier des titres des journaux… Alors, je lis l’article. Et je ne comprends rien. Mélanie, ton QI f… le camp. On a quand même bien l’impression que mon interprétation est la bonne : il s’agit des familles qui résident dans le département (des Côtes d’Armor en l’occurrence) et qui n’ont pas d’enfants. Avouez quand même que " vit sans ", synonyme de " habite ", suggère " habite sans ses enfants " : on est poussé à comprendre qu’il s’agit de familles ayant des enfants, que la question est de savoir s’ils sont sur place ou ailleurs.

Mais, derechef, je ne pige pas. Qu’est-ce qu’une famille sans enfants ? C’est pas dit. Un couple sans enfants est-il " une famille " ? Un renvoi au bas de l’article le dit, semble-t-il. Si c’est ça, on commence à comprendre qu’on en trouve la moitié sans enfants : parce qu’ils n’en ont pas encore ; peut-être aussi parce qu’ils n’habitent plus avec eux. L’article fait tout un commentaire sur les Tanguy qui restent chez papa-maman jusqu’à 28 ans. Si c’est ça, quelle limite d’âge a-t-on fixée ? Ou bien, compte-t-on ici les couples de 60 ou 70 ans, dont les enfants sont envolés et ont convolé depuis des lustres ? Si oui, alors la proportion d’une moitié semble au contraire faible…

Et puis, les célibataires ? Je veux dire, celles-et-ceux qui vivent seul(e)s. Parce que, quand je disais à l’instant " les couples ", sans enfants, fallait-il s’en tenir aux mariés ou prendre les cohabitants ? Bon, admettons. Mais alors, quid des familles monoparentales ? Comprenez-moi : si vous comptez comme " famille " les couples sans enfants et pas les solitaires sans enfants, et que pour ces derniers seulement, vous attendiez qu’il aient un chiarre pour être élevés à la dignité de " famille ", c’est pas symétrique, pas homogène. Je veux bien qu’on prenne des conventions pour tout ça. C’est du reste ce que font les démographes. Mais ici, on ne nous en dit pas assez pour saisir de quoi on parle.

Enfin ! comme ça vient d’une étude de l’Insee, je pourrais m’y reporter. Tiens ! Y a même pas la référence. Mais, quand même ! Si pour comprendre ce qui est dans le journal il faut aller chercher soi-même ce dont il parle, à quoi sert le journal ? Peut-être à piquer notre curiosité. À nous faire gamberger sur les ambiguïtés de la langue. Alors, là, c’est gagné. 

Mélanie Leclair, jeune statisticienne

 
Pénombre, Avril 2002