Les chiffres de population des villes et des villages se réfèrent aux personnes qui résident habituellement dans ces lieux. Cela tombe sous le sens, et pourtant… Pendant longtemps, ces personnes y passaient le jour et la nuit et en sortaient rarement. À l’heure actuelle, les choses ont bien changé. Les habitants d’une localité y passent toujours la nuit, en dehors des vacances et des escapades diverses, mais pas forcément la journée.
Ainsi, à Paris, on compte actuellement 2,1 millions d’habitants. Sur ce nombre, 1 million travaillent, dont 300 000 à l’extérieur de la ville. Il reste donc 1,8 million de Parisiens à Paris le jour. Par ailleurs, 900 000 emplois dans la capitale sont occupés par des gens qui habitent ailleurs, principalement par des banlieusards. Ce qui fait que pendant la journée Paris abrite 2,7 millions de personnes, sans compter celles de passage et les touristes. Est-il alors pertinent de dire que la population de Paris est de 2,1 millions, ou de s’en tenir à ce seul chiffre, alors qu’on y rencontre habituellement au moins 2,7 millions de personnes ?
Il ne s’agit pas ici de débattre du sexe des chiffres. La définition de la population a des conséquences. Elle conduit par exemple à justifier la fermeture des voies sur berges à Paris au motif de l’approbation de cette mesure par ses habitants, qui ne sont pratiquement pas concernés, puisqu’ils n’ont guère besoin de se déplacer en voiture, alors que ceux affectés par cette mesure, les banlieusards, n’ont pas voix au chapitre1. Cette définition est également très pratique pour la publicité de la téléphonie mobile. En effet, les opérateurs en question se vantent du pourcentage de population couverte, 95 %, voire 100 %… dans sa résidence habituelle. Or, cette technique de communication n’a réellement d’intérêt que quand cette population sort de chez elle, pour aller au travail, en voyage ou en vacances.
Bref, dans ce monde qui se complique, les définitions démographiques, qui datent du temps où les choses étaient simples, où les nocturnes étaient aussi des diurnes, ne sont plus guère adaptées. Ne faudrait-il pas réfléchir à un comptage de la population, pas seulement de nuit et pas non plus seulement de jour, à la pénombre en somme ?
Alfred Dittgen, démographe, Université Paris I
1. Je suis un adepte des transports en commun, contrairement à ce que pourrait laisser croire mon propos, mais aussi de la démocratie.
Pénombre, Avril 2002