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Développements sur le classement du développement

... suite du DOSSIER "PALMARES"
 

Un classement paraît incontestable quand il résulte d’un indice qui comporte une seule variable et facilement mesurable : par exemple, le classement des montagnes selon leur altitude. Encore que cette hauteur puisse varier en fonction de l’épaisseur de la couche de neige, ce qui nous oblige de temps à autre à retenir de nouveaux chiffres pour le Mont Blanc, ou à faire définitivement l’impasse sur les mètres au-delà de 4 800.

Ce classement paraît plus contestable quand il résulte d’un indice composite, c’est-à-dire, qui prend en compte plusieurs variables, car le choix de ces variables ne peut pas être « scientifique », ni leur pondération. Il en est ainsi du classement des élèves, qui vise à situer ceux-ci selon leur degré de connaissances. Le choix des matières nécessaires au futur honnête homme ou à la future honnête femme ne va pas de soi, de même que leurs coefficients, sans parler d’une part inévitable de subjectivité dans la notation. Cela étant, ces indices composites ne sont pas toujours sans intérêt.

Pour mesurer le développement atteint par les pays et, éventuellement, pour les classer dans ce domaine, on a privilégié pendant longtemps le produit intérieur brut (PIB), indice à la signification simple (mais difficile à établir dans la plupart des cas), trop simple même, car la production ainsi mesurée aux prix et dans la monnaie de chaque pays est convertie dans la même monnaie (le dollar) selon les taux de change.

Or, on n’achète pas la même quantité de biens ou de services avec un dollar au Burkina-Faso qu’aux États-Unis.D’où, à l’heure actuelle, l’utilisation d’un indice plus approprié : le produit intérieur brut en parité de pouvoir d’achat (PIB-PPA).

Mais le développement n’est pas qu’une affaire économique. C’est pourquoi le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) a introduit en 1990 l’indice de développement humain (IDH), lequel prend en compte, outre le pouvoir d’achat, mesuré par le PIB-PPA, la santé, mesurée par l’espérance de vie, et la culture, mesurée par le taux de scolarisation et le taux d’alphabétisation des adultes1. Plus précisément, le PNUD a défini pour chacun de ces trois sous-indices, un maximum et un minimum possibles et, pour chaque pays, calculé le rapport de la différence entre la valeur observée et le minimum sur la différence entre le maximum et le minimum. Ainsi, l’espérance de vie est supposée varier dans une fourchette de 40 à 80 ans et un pays avec une valeur de 50 ans a un indice de santé de 25 % ((50-40) / (80-40)). L’IDH est lamoyenne simple des trois indices qui le composent.

En faisant cette moyenne simple on fait le choix de pondérations égales, ce qui ne pose pas moins de problème que de choisir des pondérations propres à chacun des éléments. Par ailleurs, avec cette moyenne, n’additionne-t-on pas des pommes et des poires, chose que nos enseignants nous ont appris à ne pas faire ? Difficile de répondre dans l’absolu.



D’ailleurs, les enseignants ne sont-ils pas les premiers à transgresser cet interdit en calculant des moyennes générales (en ajoutant les notes de maths, d’anglais, de gym ….) ? Dans le cas présent en tout cas, l’utilisation de cet indice pour mesurer le développement vaut mieux que l’utilisation unique de
l’un des trois qui le composent2.

Cela étant, cet IDHest évidemment à utiliser avec précaution, en particulier parce que la détermination des valeurs extrêmes, qui va de soi pour la scolarisation et l’alphabétisation (0%- 100%), estmoins évidente pour le pouvoir d’achat et la santé. Le classement auquel il aboutit doit être pris avec la même circonspection. Ainsi, il ne faut guère accorder d’importance au fait que la France soit passée du 11e rang en 1975 au 8e en 1995 et revenue au 11e en 2000.

Notre pays est bien placé, sans être au premier rang, ce dont on se doutait un peu. Il est plus intéressant de voir que le classement des pays selon l’IDH peut différer sensiblement du classement selon le pouvoir d’achat, surtout dans le tiers-monde. Ainsi, le Vietnam, qui a la même valeur de PIB-PPA que le Pakistan, a un IDH bien plus élevé, grâce à une meilleure scolarisation et à unmeilleur système de santé.

Ce qu’on peut peut-être reprocher à cet indice c’est de n’intégrer que des moyennes. Or, il y a sûrement davantage de citoyens heureux dans un pays riche où tout le monde a un niveau de vie proche de la moyenne que dans un pays où la moyenne est la même, mais où la moitié de la population est très riche et l’autremoitié très pauvre. L’opulence des uns ne compense pas la misère des autres.

Le PNUD calcule d’ailleurs un indicateur de répartition des richesses ; en l’occurrence : le pourcentage de pauvres. Peut-être aurait-il fallu l’intégrer dans l’indicateur de développement ?

Jean Célestin
 
 
1. Ces deux taux sont combinés en un indice unique en pondérant le taux de scolarisation par 1/3 et le taux d’alphabétisation par 2/3.

2. L’indice unique qui pourrait faire concurrence à l’IDH est le taux de mortalité infantile. Celui-ci mesure - en plus de l’état sanitaire - la culture, qui détermine la capacité des mères à soigner leurs enfants, et aussi le pouvoir d’achat, car la préservation de la santé des enfants est plus coûteuse que celle des adultes.
C’est d’ailleurs en observant la montée de ce taux en URSS dans les années soixante qu’Emmanuel Todd a annoncé dès 1976 la chute de cet « empire » (La chute finale : essai sur la décomposition de la sphère soviétique, Robert Laffont).
 
 
Pénombre, Juillet 2003