... suite du DOSSIER "PALMARES"
L’OMS a publié en l’an 2000 un classement des 191 pays du monde selon l’espérance de vie en bonne santé de leur population. En haut de l’échelle figure le Japon, avec 74,5 ans (pour une espérance de vie de 80,5 ans). La France est en troisième position avec 73,1 ans (pour une espérance de vie de 78 ans). Bien qu’il ne soit pas impossible que mon pays soit si bien classé, je ne peux pas m’empêcher de me poser des questions sur un tel classement.
Le problème, contrairement à ce qu’on pourrait croire, ne réside pas dans la possibilité de mesurer la santé malgré la subjectivité de cette notion : nous savons depuis Molière qu’il y a des malades imaginaires et depuis Jules Romains qu’un bien portant est un malade qui s’ignore. L’OMS, et tous les spécialistes de cette question, mesurent plus précisément « l’espérance de vie sans incapacité ». Or, l’incapacité, de sortir du lit, de faire sa toilette, de se déplacer seul, etc., est observable et mesurable.
Le problème réside donc, non dans la possibilité demesure, mais dans l’absence demesure. Depuis pas mal de temps, plusieurs organismes, Nations Unies, Banque mondiale..., publient chaque année l’espérance de vie de chacun des pays du monde. Il faut savoir que les chiffres proposés ne résultent d’observations et de calculs précis, que pour une minorité de pays, les pays développés, qui disposent d’états-civils performants. Pour les autres, la majorité, il s’agit d’évaluations basées sur des données fragmentaires ou sur une appréciation de la situation sanitaire, ou encore sur des comparaisons avec des pays voisins possédant des statistiques. A fortiori, l’incapacité fait encore plus rarement l’objet de mesures, car elle nécessite des enquêtes spécifiques, sur des échantillons de taille importante pour pouvoir appréhender ce phénomène pour chaque sexe et à tout âge. Jusqu’à présent, les pays qui réalisent périodiquement de telles investigations se comptent sur les doigts de la main ; soyons généreux : des deux mains.
Autrement dit, il n’y a qu’une minorité de pays dans lesquels on mesure l’espérance de vie et une minorité de cette minorité dans lesquels onmesure l’incapacité. Comment peut-on alors avoir un classement des pays pour l’espérance de vie en bonne santé, ce qui suppose un chiffre pour chacun ?
Normalement, quand on donne une série chiffrée et classée, on est conduit à penser que le classement résulte du chiffrage : ainsi du classement des élèves, qui résulte de la moyenne obtenue par chacun. Il est à parier que dans le cas présent on a fait l’inverse, du moins en partie. C’est-à-dire que l’on on a classé les pays dont les données manquent (la majorité) les uns par rapport aux autres, à partir d’appréciations pifométriques, puis attribué une valeur à chacun d’eux en fonction de son rang. Que vaut un tel palmarès ?
Alfred Dittgen
Pénombre, Juillet 2003