--

La densité est aussi une moyenne

Il y a un certain temps déjà un lecteur du site nous a posé une question sur les densités de population des divers pays, leurs modes de calcul, leurs significations et le lien avec la surpopulation. Ce peut être le moment de répondre, car la densité est aussi une moyenne – et la densité moyenne, un pléonasme – de même que la proportion. Une dépense moyenne est la somme des dépenses divisée par le nombre de dépenses, une proportion de femmes est la somme des personnes de sexe féminin divisée par le nombre de personnes, une densité est la somme des habitants sur les différents kilomètres carrés de la surface en cause divisée par la somme des kilomètres carrés.

La densité de la France (tous les chiffres cités sont des évaluations arrondies pour l’année 2000) est de 110 habitants au kilomètre carré, celle de la Chine de 130, pas considérablement différente. Or, comment se fait-il que nous ayons l’impression de foules denses en Chine et pas en France. Tout simplement parce que la répartition de la population est beaucoup plus équilibrée dans notre pays que dans l’Empire du Milieu, où les hommes sont concentrés le long de la mer de Chine avec des densités par province toujours supérieures à 500.

C’est la raison pour laquelle on calcule aussi une densité nette, la précédente étant donc brute, pour les pays où la population n’occupe qu’une partie du territoire, en ne retenant au dénominateur que la surface de cette partie. Ainsi, en Égypte, où la population est presque exclusivement installée le long du Nil, on a une densité brute de 70, et une densité nette de 1 400 !

 

Very comfortable

Dans ces calculs, l’espace est considéré comme simple " lebensraum ", lieu de vie. Mais l’espace c’est aussi, et parfois avant tout, la terre nourricière, ce qui peut amener à ne retenir au dénominateur que les terres arables. Que l’on retienne ces seules terres ou non, les résultats n’ont pas le même sens dans les pays du tiers monde dont l’économie est restée essentiellement agricole et dans les pays industrialisés ou tertiarisés. Ainsi la densité (brute) du Rwanda, égale à 280, met en cause sa sécurité alimentaire, alors que celle, plus forte, de son ancien colonisateur, la Belgique, de 330, indique simplement que nos voisins sont plus serrés que nous, car ce pays a une économie qui lui permet d’importer sans problèmes les denrées alimentaires qu’il ne produit pas.

Est-ce à dire que pour les pays développés la densité n’a pas d’importance ? ou que, à condition de se développer, tous les pays peuvent atteindre sans problème la densité de la Belgique ou celle des Pays-Bas (385) ? Non ! D’une part, si certains pays ont des densités très fortes qui les empêchent de produire leur nourriture en quantité suffisante, il faut bien que d’autres la produisent, donc aient des densités plus faibles. D’autre part, l’espace de vie des Bénéluxiens, mais aussi des Britanniques, dont la densité est de 310, et des Allemands, de 230, n’est pas limitée à celui de leurs contrées respectives, car ces personnes, ou une partie d’entre elles, passent leurs vacances en France et en Espagne, non seulement parce que le soleil y est plus généreux que chez elles, mais aussi parce que ces pays sont moins peuplés – la densité de l’Espagne n’est que de 80 – ce qui y rend leurs séjours very comfortable et sehr gemütlich.

Autrement dit, à partir du moment où l’homme n’est pas confiné à l’endroit où il vit, la densité donne une vision très relative des choses. Certains jours à Paris, je me sens très serré. Mais comme je sais que la densité de la France est deux cents fois moindre que celle de la capitale, je me dis qu’il suffit que je m’éloigne un peu de cette mégapole pour être très à l’aise. La densité ça sert aussi à rêver.

Alfred Dittgen

 
Pénombre, Avril 2001