On entend à peu près tous les jours à la radio ou à la télé un énoncé du type " Chaque Français dépense 1 000 F pour ceci ou cela. " Cette proposition a peu de chances d’être vraie, car elle signifierait que nous vivons dans une société hyper-égalitaire et hyper-uniformisée, un communisme encore plus communiste que celui rêvé par Marx et Lénine, où chacun, non seulement, recevrait la même chose, mais en ferait le même usage. Le journaliste veut évidemment dire que : " en moyenne, le Français dépense (il serait plus correct de dire " les Français dépensent ") 1 000 F ", ce qui signifie que certains dépensent moins que cette somme, d’autres plus et sûrement très peu, voire aucun, exactement cette somme. A fortiori, l’annonce, entendue tout aussi fréquemment : " Chaque Français dépense en moyenne " est absurde. Si c’est chacun qui dépense, il ne s’agit plus de dépense moyenne.
Par intérêt
Pourquoi ces erreurs ou ces approximations ? Parce que nous avons tendance à nous représenter mentalement une moyenne, alors qu’elle ne peut pas l’être, car elle ne correspond pas à une valeur observée. Alors pourquoi l’utiliser ? Supposons deux familles, l’une de 2 enfants, l’autre de 5. Mettons que la première dépense 1 000 F pour les cadeaux de Noël de sa progéniture et la seconde, 1 500 F. La seconde famille a dépensé plus que la première, mais, en moyenne par enfant, la première aura dépensé plus : 500 F, contre 300 F. Ces moyennes sont des chiffres virtuels, des abstractions, car, à moins de supposer que les enfants de chacune des familles soient des jumeaux de même sexe auxquels on tient à offrir exactement les mêmes cadeaux, il y a peu de chance que les dépenses réelles par enfant dans chacune de ces familles aient été les mêmes. L’intérêt de la moyenne est ici de passer de la dépense familiale à la dépense par enfant et de comparer cette dernière entre les deux familles. On voit grâce à elle que les enfants de la première famille sont plus gâtés (en moyenne) que ceux de la seconde.
L’âge du capitaine
Une autre erreur, qui guette aussi bien le statisticien que tout un chacun, consiste à confondre la moyenne avec le mode, c’est-à-dire, avec la valeur la plus fréquente, qui, elle, est réelle, donc représentable. Ainsi, quand on dit qu’en France à l’heure actuelle, l’âge moyen au premier mariage des Françaises est de 26 ans et demi, on a tendance à penser que les mariées rencontrées le plus fréquemment ont, auparavant, coiffé la Sainte Catherine, alors qu’il n’en est rien, puisque l’âge modal au mariage n’est que de 24 ans et demi. Dans ce même pays, l’espérance de vie à la naissance, c’est-à-dire, l’âge moyen au décès, est de 78 ans. Là aussi, on commet une erreur, importante, en supposant que les décès les plus fréquents ont lieu à cet âge, alors qu’ils se situent presque 10 ans plus tard, autour de 87 ans et demi. L’erreur devient colossale quand on pense qu’une espérance de vie de 25 ans, celle de la France au milieu du XVIIIe siècle, traduit des décès particulièrement nombreux à cet âge, alors qu’il n’en est rien, tout au contraire. Cette faible valeur résulte de décès qui sont maximum la première année de vie et en second lieu à un âge plus élevé, autour de 65 ans. Malgré les risques de mauvaise interprétation, cet âge moyen est cependant indispensable, car il nous renseigne de la façon la plus rigoureuse sur l’allongement de la vie, ici une multiplication par plus de trois, en deux siècles et demi.
Chaque pénombrien
Comme la moyenne est généralement un nombre décimal, on ne risque pas cette confusion quand la variable étudiée, à la différence de l’âge, ne peut prendre que des valeurs entières, comme dans le cas de la fécondité. Ainsi, toujours en France et à l’heure actuelle, où le nombre moyen d’enfant par femme est de 1,7 (le mode est de 2 enfants), personne n’imagine que les Françaises ont un premier enfant entier et un second à qui il manque 30 %. D’où des remarques goguenardes sur les démographes qui coupent les enfants en morceaux. Ce ne sont pourtant pas eux qui sont en cause, mais tout un chacun qui transforme " le nombre moyen d’enfants par femme en France est de 1,7" en : " chaque française a 1,7 enfant(s ?). "
Utilisons donc chaque à bon escient comme dans la proposition-injonction suivante : " chaque Pénombrien est tenu de verser sa cotisation de 150 F pour l’année 2001. "
PS À propos de moyenne, on lit dans Le Monde du 11 mars 2000 dans un article sur le tunnel routier de Sainte Marie aux Mines : " […] il supporte un trafic annuel moyen de 3 400 voitures par jour. " Quid du trafic annuel moyen journalier horaire ?
Alfred Dittgen
Pénombre, Avril 2001