(Soudain la nuit se fait, la salle est plongée dans l’obscurité, une voix forte se fait entendre…)
« Nuit admirable, abîme d’heures, tu n’es rien…
J’insulte l’ombre et ses horloges…
Bête comme la foule, ô nuit !…
Nuit, nombres, sac de grains, semences vaines !
Avec tes siècles et tes lampes… tu n’es rien… Rien, rien, rien.Le firmament chante ce que l’on veut…
À l’un parle de Dieu
À l’autre oppose un froid silence.
La panique devant zéro… Le rien fait peur… Ho…Ho…Et il en est qui s’émerveillent,
Qui s’éblouissent de milliards en chiffres sur papier…
Ho… Ho… Haute vermine des étoiles…
Astres entre lesquels la lumière s’échange,
Elle n’est qu’entre vous ! Vous n’êtes, pauvres Cieux,
Qu’un peu d’étonnement des hommes, poudre aux yeux !
Mon petit œil s’offre cet univers,
Un œil suffit à la gloire infinie…
Je le ferme et deviens la force qui vous nie… Ho, Ho…
Nuit admirable, effroi des sages, Mère vierge
De phrases nobles et de tables de grands nombres,
Ô rotation de rotations de rotations,
Qui nous infliges le supplice
De tes mornes répétitions,
Nuit admirable, abîme d’heures, tu n’es rien !
Rien, rien, rien, rien ! »
Paul Valéry
Pénombre, spécial 10ans, Mars 2003