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À propos du texte de Dominique Meurs

(« Toutes choses égales par ailleurs »)
 

J’ai beaucoup apprécié ce papier. Quand on compare un phénomène entre deux populations on peut s’en tenir aux différences brutes ou se livrer à une comparaison plus approfondie en se servant du "toutes choses…". Les démographes connaissent bien ce problème, particulièrement dans le domaine de la mortalité. Ainsi en 1995, le taux de mortalité de l’Allemagne était de 11 pour 1000, celui du Botswana de 7 pour 1000. Or, l’espérance de vie de l’Allemagne était de 76 ans, celle du Botswana de 63 ans (tous chiffres de Population et Sociétés, 1995, n° 304). Ce paradoxe n’est évidemment qu’apparent. Une analyse plus approfondie montrerait que les taux de mortalité par âge, la mortalité intrinsèque, est plus élevée au Botswana qu’en Allemagne, mais que ce dernier pays présente une structure par âge plus vieille, ce qui lui donne un taux de mortalité, dit précisément taux brut, plus élevé.

Faut-il alors se débarrasser très vite de ces taux bruts ? Non ! Pourquoi ? Parce qu’ils donnent une image complémentaire de la réalité. La mortalité ce n’est pas seulement les risques de décès, la mortalité intrinsèque, c’est aussi un des facteurs d’accroissement de la population, lequel est précisément mesuré par ce taux brut. On peut même s’intéresser à un indice encore plus grossier : le nombre de décès, lequel a aussi son intérêt, ne fût-ce que pour les pompes funèbres…

Il n’y a donc pas d’indices significatifs et d’autres qui ne le seraient pas. Chaque indice a sa signification. Or, il me semble que dans les médias, même cultivés, on utilise un peu trop facilement l’indice qui sert la cause que l’on veut défendre et on néglige les autres. Je prends pour exemple encore la différence de salaire hommes/femmes et, d’autre part, la proportion de personnes incarcérées, chez les Français et chez les étrangers. Concernant la première j’ai lu dans Le Monde il y a un ou deux ans (j’ai eu tort de ne pas avoir gardé l’article et les rédacteurs de Pénombre m’accuseront de ne pas citer mes sources, tant pis !) un article en première page qui traitait de ce problème et qui se moquait de l’analyse « toutes choses… », pour conclure ironiquement qu’elle aboutissait à dire que si les femmes étaient des hommes, il n’y aurait pas de différence de salaire. Bref ce qui importait au rédacteur en question, c’était le scandale de la différence et pour lui les explications du genre structures et « toutes choses… » ne faisaient que noyer le poisson.

À l’inverse, quand on traite des taux d’incarcérés selon la nationalité, taux plus importants pour les étrangers que pour les Français, on s’éloigne très vite des différences brutes, qui révèlent pourtant aussi une réalité. Il est vrai qu’il faut savoir les interpréter. Ainsi, il y a des causes d’incarcération qui ne concernent que les étrangers (situations irrégulières). Cependant les incarcérés pour ces causes mis à part, la différence reste importante. On dit alors qu’elle n’est pas significative d’une « surdélinquance » liée à la nationalité, parce que, en gros, les étrangers sont plus jeunes et moins riches que les Français. Or les crimes et délits sont davantage le fait des jeunes et des pauvres. Cela étant, ce n’est pas parce que la surdélinquance des étrangers ne s’explique pas par le facteur national qu’elle n’existe pas. Pour ceux qui risquent d’être victimes de la délinquance, ce sont les différences brutes qui importent et non leurs explications.

Bref, quand le groupe que l’on défend, légitimement, présente une différence brute qui lui donne une image antipathique, on a tendance à analyser les chiffres, pour trouver l’explication de ce phénomène. Au contraire, quand cette différence lui donne une image sympathique, on a tendance à s’en tenir là.

Ma réflexion basée sur bien des lectures manque ici de références. Je promets de les noter à l’avenir et de les livrer aux lecteurs de Pénombre, car le défaut signalé persistera, n’en doutons pas.

Alfred Dittgen

 
Pénombre, Novembre 1996