Pénombre, la vie publique du nombre

Editorial

"Parle clairement, l’interrompit Jésus.
Cela n’est pas possible, rétorqua Dieu,
les paroles des hommes sont comme des ombres
et jamais les ombres ne pourraient expliquer la lumière.
Entre elle et la lumière se trouve et s’interpose le corps opaque
qui leur donne naissance."
José Saramago, L’évangile selon Jésus-Christ
 

Rien n’est simple. Ce numéro de la Lettre blanche est, sans doute plus que les autres, celui de la critique, du débat, de l’échange, preuve s’il en fallait que Pénombre s’installe dans les esprits, au risque d’y mettre un peu de désordre.

Ainsi, en parcourant ce numéro, tel d’entre vous se trouvera peut-être dans la délicate et stimulante situation de se voir mis en cause. Autant qu’il est possible, nous aurons essayé de le faire avec le respect qui vous est dû, mais sans nous priver d’une once de corrosion. Si vous avez le courage d’en rire, nous trouverons celui de reconnaître nos propres incongruités et de rire avec vous.

« Le rire écrivait Henri Bergson, dans son fameux essai de 1940 (période certes follement drôle), cache une arrière-pensée d’entente, je dirais presque de complicité, avec d’autres rieurs, réels ou imaginaires ».

Pour être complices, il faut être au moins deux. Hélas, entre Pénombre et Messieurs Charles-Amédée du Buisson de Courson et Gérard Léonard, députés, le courant n’est pas alternatif, il ne passe que dans un sens. Nos lettres du 19 mai, puis du 23 septembre 1996, pourtant fort courtoises, n’ont pas reçu de réponse. Nous voulions simplement savoir comment ces députés avaient fait pour établir qu’il y avait en France 800000 immigrés clandestins. C’était intéressant, non ? Non réponse des représentants du peuple. « Circulez, il n’y a rien à voir ». Par voie de conséquence, leur rapport est donc à classer dans la catégorie « Billevesées ». Petit à petit, Pénombre constitue un musée des sornettes et balivernes, et nous organiserons des visites pour les enfants des écoles, gratuites.

Ailleurs, le courant passe, un peu électrique parfois. Philippe Collomb, directeur du CICRED, auteur d’un article sur « l’alimentation de la population mondiale en 2050 » a souhaité exercer son droit de réponse à la suite d’un papier de René Padieu (La Lettre blanche n°10). Puis il a changé d’avis. Nous lui accordons bien volontiers son droit de non réponse. René Padieu ne retire rien de ce qu’il a écrit, notamment sur le réel intérêt de l’article, mais ne souhaite pas alimenter une polémique qui n’est pas de mise ici. Il revient, de même qu’Alfred Dittgen, directeur de l’Institut de démographie de l’université de Paris I (IDUP), sur les articles consacrés aux inégalités de salaires entre hommes et femmes que tous deux ont appréciés.

Enfin, nous avons reçu une lettre sympathique de Chantal Blayo, chercheur à l’INED, que nous avions sollicitée à propos d’un article sur l’estimation des avortements non déclarés. Faute de place, nous avons dû reporter cette question au n°12.

Bonne lecture à tous, et, sous nos cieux assombris, que chacun reprenne à son compte la devise des déçus du temps qui passe : « Courage, rions ! »
 

 
Pénombre, Novembre 1996