L’histoire de la lutte contre les vols de mobiles commence en 2002, alors que 117000 mobiles auraient été volés en 2001 et 150000 en 20021.
Nicolas Sarkozy est alors ministre de l’intérieur depuis mai 2002. Il a fait de la lutte contre l’insécurité son cheval de bataille et a déposé, en octobre, un projet de loi pour la sécurité intérieure qui deviendra la LOPPSI 1 prévoyant l’obligation pour les opérateurs de mettre en place à partir du 1er janvier 2004 un procédé de désactivation des appareils signalés volés. Le lien est alors fait avec la recrudescence des vols avec violences dont une bonne part (40 % à Paris) serait des vols à l’arraché de téléphones portables.
La même année –en février- est apparue l’AFOM2 (Association française des opérateurs de mobiles) destinée à « plancher sur des problèmes communs au marché du mobile », dont les vols d’appareils et les SMS surtaxés. Une campagne d’information –rassemblant l’AFOM, la Police Nationale, la Gendarmerie Nationale et les constructeurs de téléphones- a lieu en juin 2004 sur le thème « Mobile volé, mobile bloqué ».
Du lundi 19 juin au mercredi 28 juin 2006, les auditeurs de France Info, NRJ ou RTL pouvaient entendre le spot suivant :
Le Sac à main
« Imaginez : on vous vole votre sac à main… »
On entend un bruit de bousculade légère, un petit cri de surprise et la course d’un voleur qui s’enfuit avec son butin.
« au bout de quelques secondes, votre sac à main s’autodétruit… »
On entend un pfuiiit et un petit boum, c’est le sac à main qui s’autodétruit, dans l’esprit de la cassette de la série Mission Impossible. « Imaginez la tête de votre voleur… » Le voleur est vraiment surpris et désemparé. (ndlr : on imagine bien aussi la tête de la victime voyant son sac détruit)
« Oooh ben ??!… »
« Contre le vol de mobiles, c’est la même chose : vous pouvez bloquer votre ligne et votre mobile pour le rendre complètement inutilisable. »
Répétition du son d’incrédulité.
« Oooh ben ??!… »
« En cas de vol, contactez votre service client. »
« Bloquer son mobile rend le vol inutile. »
« C’est un message de l’Association Française des Opérateurs de Mobiles, de la Police nationale et de la Gendarmerie, avec le soutien de Motorola, Nokia, Sagem, Samsung et Sony Ericsson. »
Le 20 juin 2005, un communiqué de presse évoque de « premiers résultats encourageants » et précise que « les vols de téléphones mobiles déclarés aux services de Police et de Gendarmerie ont légèrement reculé l’année dernière : 183000 vols en 2004 contre 185000 en 2003 ». Soit une baisse de 1,08 % : encourageant certes, mais du genre peut mieux faire... surtout dans le contexte de l’évaluation par la performance.
La campagne de communication est reprise en 2005 puis en 2006.
Le 14 juin 2006, le communiqué de presse commun de la Police nationale, de la Gendarmerie nationale et de l’AFOM titre « Recul de 14 % des vols de téléphones mobiles entre 2003 et 2005 ». Cette fois, le bilan serait nettement plus encourageant. On a veillé à la chose puisque le calcul porte cette fois sur deux années. En 2005, il y a eu 182500 portables volés ; en 2003, 185000. Le nombre des vols a donc diminué de… 1,35 %. L’écart avec ce qui est proclamé (- 14 %) est très grand...
Arrondi et erreur de virgule en calculant ce pourcentage ? Non ! En fait, il se rapporte à un nouvel indicateur, le taux de vols pour 1000 mobiles en circulation égal au nombre de mobiles signalés volés dans l’année rapporté au parc français de téléphones mobiles en fin d’année. En 2003, le parc de mobiles s’élevait à 41,6 millions ; en 2005, à 48 millions. Le nombre de vols pour 1000 mobiles était donc en 2003 de 4,4 et en 2005 de 3,8.
Faire la différence entre les deux taux permet normalement d’apprécier l’évolution. Donc, entre 2003 et 2005, le nombre de vols pour 1 000 mobiles a diminué de 0,6 point. Nous sommes encore plus loin du résultat annoncé. Il est également possible de calculer le taux de croissance du nombre de vols pour 1000 mobiles, comme cela a été fait précédemment pour le nombre de vols, ce qui donne - 13,6 %. En arrondissant, ceci permet de retrouver enfin le résultat annoncé.
Cependant, l’interprétation de ce « résultat » n’est pas si facile. Considérons l’exemple suivant : mardi, je partage une pizza normale avec une amie ; j’en mange la moitié (50 %) ; vendredi, je partage une pizza maxi avec trois amis et j’en mange le quart (25 %) ; si la pizza maxi a un rayon double de la pizza normale, j’en aurai mangé vendredi deux fois plus que mardi ; mais, si j’étudie l’évolution de ma consommation en utilisant les parts, je constate que ma part a diminué de 50 % ((25-50)/50).
Pour rendre compte au mieux de l’évolution étudiée, il aurait été préférable de présenter les deux résultats et d’énoncer, simultanément, que entre 2003 et 2005 :
le nombre de mobiles volés a diminué de 1,35 % ;
le nombre de vols pour 1000 mobiles a diminué de 14 %.
Mais la formulation ne doit pas laisser penser que le nombre de mobiles volés a diminué de 14 % ce que suggère pourtant le titre « recul de 14 % des vols de téléphones mobiles entre 2003 et 2005 ». Titre pour le moins trompeur pour ceux qui, lisant le communiqué rapidement, ne relèvent pas plus loin cette formulation étrange : « Entre 2003 et 2005, le nombre de vols a reculé de 14 % en tenant compte de la croissance du parc : + 6,4 millions de téléphones mobiles en deux ans. »
Dans la pratique, les médias ont alors choisi des termes très différents :
sur le site lefigaro.fr : « Après avoir enregistré une explosion en 2003, le nombre des téléphones mobiles volés a chuté de 14 % pour s’établir à 182500 en 2005 alors que le parc français dépassait les 48 millions d’appareils, soit 3,8 vols pour 1 000 téléphones. »
sur le site clubic.com : « D’après l’AFOM, les vols de mobiles en France ont reculé de 14 % sur deux ans en tenant compte de la croissance du parc : + 6,4 millions de portables en circulation. »
sur le site francemobiles.com : « Après avoir connu un pic en 2003, les vols de téléphones mobiles ont reculé en 2004 et 2005. Ces vols s’élevaient à 185000 en 2003 et à 183000 en 2004. Les résultats de l’année dernière confirment cette baisse avec 182500 vols sur l’année 2005. »
Seul le dernier commentaire est correct. Le premier est faux : ce n’est pas le nombre des téléphones mobiles volés qui a chuté de 14 % mais le nombre de téléphones mobiles volés pour 1 000 mobiles. Le deuxième est pour le moins ambigu (vols de mobiles au lieu de vols de mobiles pour 1000 mobiles) mais conforme au communiqué. Au passage, on comprend pourquoi il a été jugé préférable de comparer le résultat de 2005 à celui de 2003, la baisse du nombre absolu de 2004 à 2005 ayant été moins encourageante.
Ceci dit, reste à se demander quelle est la pertinence de la présentation correcte. En transposant à un autre sujet, l’évolution du taux de chômage pourrait être caractérisée ainsi : lorsque le taux de chômage passe de 10 % à 9,5 %, la baisse ne serait pas de 0,5 point mais de 5 %. Si l’évolution du nombre de vols pour 1 000 mobiles n’est pas très lisible, même agrémentée d’un taux pour 1000 portables, celle du risque de vol l’est peut-être un peu plus : de un pour 224 portables (1/224) en 2003, ce risque passe à un pour 263 en 2005 (1/263), soit une baisse de 14 %. Mais, cela ne porte pas sur le nombre de portables volés…
Lors des bilans suivants (curieusement, il n’y en a pas eu pour 2006), les auteurs du communiqué afficheront dans leur titre le taux de croissance calculé à partir du nombre de mobiles volés. Ainsi, pour 2007, ce sera – 4 % (le communiqué précise ensuite « - 11 % en tenant compte de la croissance du parc ») ; pour 2008, - 10 % (- 13 %), pour 2009, - 10 % (la précision n’est plus donnée, lecteurs retenez bien cette succession de – 10% propre à remplir de contentement le responsable du PAP LOLF qui en profitera).
Avant de revenir sur ce performant double dix, il faut mentionner que le bilan pour 2008 diffusé toujours par le ministère de l’Intérieur et l’AFOM donne une information utile quoique peu visible. Dans les bilans antérieurs, les données étaient supposées concerner le nombre de téléphones volés ; leur diminution indiquait le recul du nombre de vols. Dans le bilan pour 2008, un tableau chronologique se réfère au nombre de déclarations de mobiles volés. Effectivement, s’agissant de données policières d’ailleurs d’origine incertaine, il ne peut s’agir que des signalements des victimes. Mais le commentaire parle toujours du recul des vols de téléphones portables. Même chose dans le bilan pour 2009…
Abus de langage auquel il faudrait s’accoutumer. Mais le tableau récapitulatif de ce communiqué de juin 2010 pour l’année 2009 réserve une belle surprise encore. Il modifie les données de 2007 et 2008 comme le montre le tableau ci-dessous.
Déclarations de mobiles volés |
2006 | 2007 | 2008 | 2009 |
Bilan de juin 2009 Nombre | 181 500 | 174 250 | 156 500 | |
taux de croissance | -1 % | -4 % | -10 % | |
Bilan de juin 2010 Nombre | 181 500 | 182 000 | 174 000 | 157 000 |
taux de croissance | -1 % | 0 % | -4 % | -10 % |
Force est de constater que les taux de croissance pour 2007 et 2008 sont beaucoup moins satisfaisants avec ces données de juin 2010. Un esprit charitable évoquera une erreur matérielle ayant produit un décalage de colonnes visible dans le tableau. Mais la correction apportée n’est pas relevée et le « bon résultat » du communiqué de 2009 n’est pas changé en résultat erroné ! Du coup, la bonne évolution (de 174 000 à 157 000) pourra servir deux fois, d’abord pour le bilan sur 2008 et puis pour le bilan sur 2009 !!
Cependant, le bilan 2010, qui aurait dû être présenté en juin 2011, n’est pas connu. Signe de remords ? Peut-être est-il mauvais ? Il semble que l’apparition des smartphones ait entraîné une nouvelle recrudescence des vols. « En 2010, les violences aux personnes ont augmenté de 2,5 %. Montrés du doigt par Brice Hortefeux, les vols de smartphones, ces téléphones mobiles aux fonctions proches d’un véritable ordinateur qui permettent notamment un accès à Internet. Une étude de la police des transports menée entre février et décembre 2010 a permis d’établir que près d’un vol sur deux (43,15 %) commis avec violences dans les transports franciliens concerne les smartphones » (Le Figaro, 24/01/2011). Le 40 % est de retour. Mais, une explication est déjà trouvée : les fausses déclarations pour faire jouer l’assurance… Au passage, la LOPPSI2 est célébrée comme un nouvel outil de la lutte contre les vols de mobiles alors que le blocage d’un mobile volé se pratique depuis 2004 : la nouveauté est que maintenant, c’est la police qui s’en charge après dépôt de plainte.
Le bilan 2011 promet d’être intéressant…
Jean-Jacques Petit
1. http://archive.afom.fr/v4/FILE_DOWNLOAD.php?doc_ID=513
À partir du 1er janvier 2011, les communiqués de presse sont sur le site www.fftelecom.org de la Fédération Française des Télécommunications et des Communications Électroniques avec laquelle l’AFOM a fusionné.
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