Pénombre, la vie publique du nombre

Editorial

"Lève les yeux au ciel,
dit Yahvé à Abraham,
et dénombre les étoiles,
si tu peux les dénombrer"
Génèse XV-5
 

Le numéro sept de notre publication est thématique. Il est consacré, pour une large part, à la maltraitance des enfants, sous l’angle, bien entendu de la maltraitance des nombres - ou de leur mauvais traitement, pour rester dans une langue simple et de bon goût. Cependant c’est ainsi. Et nous savons de quoi il s’agit, aujourd’hui lorsque nous employons ce terme de « maltraitance », un peu professionnel, un peu technique, un peu chic, pour parler, en enfilant les gants protecteurs du spécialiste, de choses très sordides.

Frédéric Jésu analyse l’approche quantitative de la maltraitance des enfants. Toujours plus : cinquante, cent-cinquante, trois cents mille enfants maltraités ! C’est comme les toxicomanes. À ce propos, Libération titre le 27/06/1995 : "la France compte 300 000 toxicomanes et 4 millions de fumeurs de joints". Le feuilleton a encore un bel avenir devant lui. Marie-Danièle Barré en a conçu un épisode.

Un nombre peut avoir la vie dure. L’observatoire national de l’action sociale décentralisée a eu beau réaliser une enquête nationale, rigoureuse et méthodique, peu importe ! les chiffres qu’on invente, compte tenu du chiffre "noir", c’est plus médiatique.

Pour les chiffres et les couleurs, Élisabeth Zucker présente un texte de Ian Hacking traitant du modelage des points de vue.

Comment fabrique-t-on des catégories de gens ? L’usine linguistique tourne depuis des siècles pour classer, fabriquer, étiqueter, estampiller, numéroter, afficher des catégories "jugement de valeur" : ni vert ni bleu, et vlan, v’la du vleu.

Quand aux collaborateurs réguliers de Pénombre, ils se sont acquitté des rubriques habituelles.

Et ils ont bien fait.

 

Pénombre, Juillet 1995