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Editorial

"Si ne veux que s’émousse l’acuité du regard et du sens,
traque le soleil dans l’ombre"

Friedrich Nietzsche (Le Gai savoir)
 

Ce dix-huitième numéro de La lettre blanche sera adressé à un nombre encore inconnu de personnes qui par lettre, téléphone ou courrier électronique demanderont, à la suite d’une annonce, une information sur Pénombre. Le précédent numéro, après sa diffusion habituelle, a été envoyé de cette façon à près de deux cents destinataires.

Le contenu de cette lettre donne un aperçu de ce qui anime le pénombrien convaincu. Convaincu au point d’écrire quelques lignes, quelques paragraphes ou quelques pages pour relever un usage du chiffre étrange, s’inquiéter le plus souvent ou plus rarement se féliciter de ce qui circule dans ces espaces où les nombres voyagent sans règles précises. A cela, il faut ajouter bien d’autres activités pénombresques dont cette lettre ne rend compte que bien tardivement : rencontres "nocturnes", participation de Pénombre à des débats publics ou à des productions écrites, groupes de travail interne de l’association. Notre site internet est sur ce plan un peu plus à jour ; il devrait évoluer vers plus d’animation bientôt.

Un brusque afflux de pénombrophiles a suivi une chronique de Daniel Schneidermann dans Le Monde Télévision (29 janvier 1999) et la "spéciale chiffres" de l’émission Arrêt sur image (La cinquième, 28 février). D’autres mentions de l’association dans la presse ont aussi fortement contribué à cet afflux. Le pénombrophile néophyte est sous le coup d’une révélation : il est possible de parler des nombres, des statistiques, d’études chiffrées sans tomber dans le manichéisme usuel qui entoure si souvent les prises de position à leur propos. Critiquer l’usage des chiffres ne conduit pas à dénoncer la vanité des statistiques. Renoncer à donner la vérité des chiffres n’impose pas d’abandonner ce puissant outil d’objectivation et d’argumentation. Ne pas se prévaloir du vrai chiffre ne libère pas du devoir de chercher les bons. Les oppositions que révèlent les discussions à leur propos ne se réduisent pas à l’incompréhension présupposée des scientifiques et des littéraires.

Pourtant ce manichéisme nous guette et l’évocation de notre nom reste un appel à la fréquentation des lieux pénombreux, lieux à mi-chemin entre l’ombre et le soleil où un éclairage particulier favorise les dialogues. Ceux qui les fréquentent activement peuvent-ils être qualifiés de pénombristes ? La richesse du langage n’est point bannie de Pénombre et l’épithète peut devenir acerbe. Certains ont été taxés de pénombrilistes. Mais on s’y méfie de l’appauvrissement que représenterait l’adoption d’une ligne. On peut rester exigeant et convaincu, tenter d’être convaincant sans tomber dans le pénombrisme.

Ceux qui ont rejoint Pénombre ou s’enquièrent de sa nature viennent d’horizons divers et ont une expérience plus ou moins longue de l’usage critique des chiffres et de la réflexion méthodologique ou éthique. Depuis le début - c’est écrit dans nos statuts - nous recherchons la variété et affirmons qu’un dialogue fructueux suppose que chacun prenne un peu de recul par rapport à ses intérêts immédiats et son rôle habituel (chercheur, enseignant, journaliste, responsable politique…). Plus facile à dire qu’à réaliser car le côté pénombrageux de chacun d’entre nous se révèle facilement au travers des querelles de mots et de chiffres. Mais pour le moment, la diversité est notre richesse.

Ainsi les qualificatifs pénombrants sont multiples voire, comme les qualités de nos membres, innombrables. Pénombre est une association de mots, d’idées, de compétences, de volontés. Devenez associés !

 

 
Pénombre, Avril 1999