Dans le no 35 d’octobre 2018 de la revue de l’Institut de recherche de santé publique, Questions de Santé publique, consacré au concept de santé cognitive, on lit : « Dans la majorité des pays à haut revenu, un individu né il y a 150 ans pouvait s’attendre à vivre 40 ans, alors qu’un individu né aujourd’hui peut vivre 100 ans. » Cette phrase, la première de l’article qui fait l’objet de ce numéro, veut évidemment frapper le lecteur et donc retenir son attention pour la suite. Les chiffres cités sont apparemment ceux des espérances de vie de la génération née il y a un siècle et demi et de la génération qui vient d’être constituée.
Prenons donc l’exemple d’un de ces pays à haut revenu, la France. L’espérance des générations nées il y 150 ans, donc autour de 1868, a pu y être mesurée : elle est un peu supérieure à 40 ans, de l’ordre de 42 ans. Qu’en sera-t-il de celle des générations nées autour de 2018 ? Nous n’en savons rien. Nous ne connaissons que l’espérance de vie de la « période » autour de 2018, laquelle est calculée à partir des « risques par âge actuels ». Celle-ci est un peu supérieure à 82 ans. Si les progrès de la médecine et de la prévention des maladies et accidents se poursuivent, l’espérance de vie des bébés qui sont nés dans cette période sera donc supérieure. De là à atteindre 100 ans ? Mais elle pourrait aussi être inférieure, si l’environnement, la qualité de l’air, de l’eau, la température… se détériorent. Autrement dit, le rapport entre 40 ans et 100 ans est peut-être un peu exagéré.
Mais cette différence entre espérances de vie est-elle très pertinente pour comparer la durée de vie du passé à la durée de vie actuelle ? Non ! L’auteur le suggère d’ailleurs involontairement en employant les expressions « pouvait s’attendre à vivre » et « peut vivre » ? Personne ne s’attend à vivre la durée d’une espérance de vie, une valeur qui n’existe pas, car elle n’est que le résultat d’un calcul. On peut, par contre, s’attendre à vivre la durée de vie la plus fréquemment observée, la vie normale, dite aussi vie modale. Celle-ci était de près de 75 ans pour les générations nées autour de 1868. Et pour les bébés actuels ? Si… (supra), elle devrait être supérieure à 90 ans, la valeur de la période actuelle, Ou… (supra). La différence en 150 ans n’est plus la même que précédemment. Pourquoi ? Tout simplement parce que l’homme du passé n’était pas différent de l’homme d’aujourd’hui : il pouvait aussi vivre vieux, mais c’était plus difficile qu’aujourd’hui où on arrive à échapper à la plupart des microbes les plus dangereux (merci aux vaccinations !).
On peut aller plus loin et dire qu’aujourd’hui, aussi bien que par le passé, l’homme peut et pouvait s’attendre à vivre la durée maximale de la vie humaine, soit celle de Jeanne Calment, soit un peu plus de 125 ans. Mais c’est comme au Loto : chacun peut gagner, mais tous, ou presque tous, perdront.
Quoiqu’il en soit de toutes ces comparaisons, il vaut sans doute mieux vivre dans la période actuelle que dans le « bon vieux temps ».
Alfred Dittgen