--

Le prix des femmes

Sous l’effet probable des boissons absorbées pendant cet intermède, ici l’ingénieur du son introduisit un peu d’aléatoire dans l’enregistrement, dont il résulte que la rédaction a préféré s’en tenir aux textes écrits (aimablement communiqués par les auteurs) des trois exposés entendus sur les thèmes « Sexe, argent et pouvoir » successivement annoncés par le président de séance, qui de cette étape avancée de la soirée, ne garde plus qu’un souvenir ému mais flou, impropre à la retranscription….

 
Claudie Baudino
Le prix des femmes

Fondée sur le chiffre 2 - qui renvoie à la dualité sexuelle de l’humanité -, la loi dite sur la parité est chiffrée. En ce qui concerne les élections législatives, les dispositions qui doivent assurer l’égal accès des deux sexes à l’Assemblée sont incitatives. Elles sont venues compléter le dispositif qui encadre le financement des partis politiques.

L’enjeu financier des législatives a suscité des commentaires. Le chiffrage de la part de candidature féminine et du coût de cette loi pour les formations politiques peu ouvertes aux femmes a été débattu. Mais, au lieu de donner une idée claire de ce dispositif et de son application, les chiffres ont appuyé des idées reçues.

Ces nouvelles dispositions allaient révéler le cynisme des grandes formations - qui contraste avec la sincérité et l’authenticité des petits partis - et démontrer, une fois de plus, que la proximité avec le pouvoir corrompt...

Les femmes allaient, une fois encore, coûter cher...

Très vite, l’idée a circulé dans l’opinion que la loi se résumait à une alternative : soit opter pour l’égalité politique et présenter autant de femmes que d’hommes soit payer pour se débarrasser des femmes ! Les médias ont joué de cette alternative en mettant en cause aussi bien le cynisme des partis que le coût de ce dispositif.

Les journalistes ont d’abord commenté les chiffres des candidatures. Bien avant le jour du scrutin, un net clivage s’est dessiné : tandis que l’UMP et l’UDF s’apprêtaient à présenter moins de 20 % de femmes et le PS, initiateur de cette loi, près de 36 %, seuls les petits partis, de l’extrême droite à l’extrême gauche, flirtaient avec les 50 %.

Les commentaires sur le cynisme des grandes formations n’ont pas manqué. Les deux grands partis, l’UMP et le PS, ont été montrés du doigt. Dans le Journal du Dimanche comme dans Le Monde, ils ont été qualifiés de « mauvais élèves » de la classe politique(JDD, 26 mai 2002 : « Mission accomplie, et même au-delà, du côté des Verts et du FN », « Mauvais élèves de la classe » UMP et PS ; LM 13 juillet 2002 : « L’UMP, l’UDF et le PS mauvais élèves de la parité »). Seule la présence du FN parmi les « bons élèves » a refroidi l’enthousiasme des commentateurs.

Or, si les chiffres semblent désigner les bons et les mauvais élèves, ils sont en réalité trompeurs. Loin de permettre un classement du plus au moins paritaire - ou républicain -, ces chiffres montrent que, compte tenu de sa force politique et des règles de financement public des partis, chaque formation a adopté la stratégie qui lui a permis de maximiser sa dotation.

La dotation publique allouée aux partis politiques est composée de deux fractions : la première est proportionnelle au nombre de voix obtenues au premier tour des élections. C’est elle qui est soumise à une condition paritaire. Concrètement, chaque voix rapporte 1,55369 euro. Si l’écart entre le nombre de candidats et de candidates dépasse 2 %, cette première fraction est amputée d’un pourcentage égal à la moitié de cet écart ; la seconde fraction est fonction du nombre d’élus. Chaque élu rapporte environ 45 000 euros à sa formation.

Ainsi, les petits partis, qui n’ont que très peu de chances d’avoir un ou des élus, ont tout intérêt à maximiser la première fraction de leur dotation ou, pour le dire autrement, ils ont intérêt à éviter les pénalités. À l’inverse, les grands partis, qui espèrent un grand nombre d’élus, comptent en priorité sur la seconde fraction. Ils acceptent de perdre un pourcentage non négligeable de la première fraction pour maximiser la seconde. Ils appliquent le principe selon lequel il vaut mieux, financièrement et aussi politiquement, un candidat élu qu’une candidate battue.

Le cas du FN est éclairant. Au lendemain du premier tour, le leader de ce parti s’est félicité de s’être « soumis » à la parité (Le Parisien, 10 juin 2002, Le Pen : « Mais je souligne le handicap qu’a constitué pour nous la parité à laquelle nous nous sommes soumis alors que ceux qui l’avaient instituée s’en sont exemptés. ») Tandis que son score du premier tour des présidentielles a été assimilé à la mise en danger de la République, il ne se prive pas d’interpréter le quasi-équilibre entre les candidatures masculines et les candidatures féminines comme une soumission à la discipline républicaine. Pourtant dans la même déclaration, il qualifie la loi dite sur la parité de « handicap » ; une façon de rappeler que l’accès des femmes à la sphère publique n’a jamais été un objectif pour cette formation politique, bien au contraire (cf. son programme pour les élections présidentielles qui propose des mesures destinées à inciter les mères de famille à abandonner le monde du travail). Ce cas permet de confirmer que ces chiffres ne sont pas significatifs des valeurs défendues par les formations politiques, de leur acquiescement au principe paritaire.

Il est toujours tentant de penser que la proximité avec le pouvoir corrompt et, à l’inverse, que les petits partis comme les petites gens sont les plus honnêtes... À travers leur classement à connotation scolaire, les médias ont accrédité cette idée reçue. Pourtant, si les chiffres concer-nant le sexe des candidats aux législatives sont révélateurs, ils révèlent avant tout les calculs auxquels se sont livrées les formations politiques, quelle que soit leur place sur l’échiquier politique. D’ailleurs, si les petits partis ont présenté des candidatures presque paritaires, seuls LO, la LCR et les Verts n’ont eu à subir aucune pénalité ; tandis que la pénalité du FN s’est élevée à 1,2 % de sa dotation, celle du MNR 9,8 % et celle de DL à 24,2 %. Au fond, à l’intérieur des deux groupes - petits et grands partis -, les moins pénalisés sont les partis de gauche plus favorables à la parité.

Une fois les candidatures déposées, le chiffrage du coût a pu commencer. Dès le 26 mai le JDD se livrait à une première estimation : « le non-respect de la loi pourrait coûter à la droite jusqu’à 2 millions d’euros de sanctions. »

À la veille du scrutin, Libération (8-9 juin 2002) annonçait que les grandes formations politiques avaient fait leur choix : « elles préfèrent passer à la caisse plutôt que prendre un risque électoral. (Note : les partis qui ne respectent pas la parité sont assujettis à des amendes.) » Une idée également énoncée dans Le Parisien (6 juin 2002) : « La plupart des grands partis préfèrent payer de lourdes pénalités financières plutôt que de présenter 50 % de candidates. »

Au lendemain du scrutin la première évaluation de l’application de cette loi donnait lieu dans Le Monde à un article intitulé : « la droite paiera l’addition la plus forte » (18 juin 2002).

Ces formulations sont « chocs ». Elles laissent entendre que les puissants se sont débarrassés des femmes en signant un gros chèque. Pourtant, elles ne sont pas tout à fait exactes.

Si le principe paritaire n’est pas respecté, la loi prévoit non pas une amende mais une amputation de la première fraction de l’aide publique accordée aux partis politiques. Plus précisément, un parti qui ne présente pas autant de femmes que d’hommes, voit son enveloppe amputée d’un montant égal à la moitié de l’écart constaté entre les deux sexes. Ainsi, un parti qui présente 80 % d’hommes et 20 % de femmes voit son enveloppe diminuer de 30 % (80 - 20 = 60 ; 60/2 = 30).

Dès le lendemain des élections, le montant du manque à gagner a été évalué pour les différentes formations politiques. Ainsi, pour n’avoir investi que 20 % de femmes, la formation gagnante, l’UMP, doit renoncer à 15,8 % de son enveloppe soit plus de 4 millions... sur la somme record de 25 millions. Car, si l’effet des nouvelles dispo-sitions est commenté, on oublie de critiquer un dispositif dont la logique est majoritaire, dont la logique favorise le vainqueur, les grands partis. Or, les chiffres les plus spectaculaires ne sont pas forcément liés à l’effet-parité.

L’UMP doit renoncer à 15,8 % de sa dotation. Certes. Mais, par rapport à la dotation du RPR en 1997, elle voit son enveloppe doubler : de plus de 12 millions à 25 millions. L’effet-fluctuation de l’opinion l’emporte sur l’effet-femme.

De ce point de vue, le cas de l’UDF est éclairant. Petit parti, l’UDF a été citée dans les médias car il est aussi, derrière les deux grands, le 3e des perdants au jeu de la parité : avec 19,7 % de candidates, il perd 22 % de son financement soit 582 000 euros. La somme est conséquente.

Pourtant, si l’on compare la dotation publique allouée à l’UDF d’une élection à l’autre, force est de constater que le plus surprenant est que, dans un contexte politique favorable, l’UDF a vu son enveloppe divisée par plus de 3. Dans une assemblée de gauche, il percevait 8,5 millions par an, dans une assemblée de droite, il percevra 2,6 millions par an. Certes, sans la parité, il aurait atteint les 3 millions mais la perte aurait quand même été plus que conséquente. Pourquoi cette perte ? L’UDF est passé de 67 à 22 députés car en amont le nombre de ses candidats a chuté d’un tiers ; une centaine a rallié le camp de l’UMP.

Ainsi, paradoxalement, les élus de l’UDF ont perdu de l’argent par infidélité sans que les femmes soient en cause...

Au fond, les chiffres de la parité n’ont pas donné lieu à un véritable commentaire de l’application de la loi ou à une critique du mode de financement des partis. Par contre, ces chiffres ont appuyé des idées reçues, ils ont servi une conception peu ambitieuse et spectaculaire de l’information.

 

 

 
Pénombre, spécial 10ans, Mars 2003