Pénombre, la vie publique du nombre

Lumières d’experts

Depuis plusieurs années, je vois passer les dépêches que l’AFP consacre régulièrement à l’économie et que divers journaux répercutent. Depuis toujours, elle relate fidèlement la sortie des statistiques conjoncturelles (prix, production industrielle, exportations, chômage, ...). Mais elle y ajoute depuis quelques temps assez systématiquement des "commentaires d’économistes" (présentés sous ce titre). Pourquoi cette évolution ? Parce que l’AFP s’est organisée pour consulter un panel d’économistes ; mais ceci déplace seulement la question : pourquoi a-t-elle jugé devoir le faire ?

Je me formule quelques conjectures, que je vous soumets :

1. La foi que l’on a dans les mesures statistiques, la rationalité de l’observation et du diagnostic, faiblit-elle, poussant à les compléter par des opinions, des intuitions, à mettre un peu de chair subjective autour de l’ossature chiffrée, voire à en suppléer les insuffisances ? Est-ce un recul de la rationalité ? ou un surplus d’intelligence ? ou encore un simple surplus de battage médiatique ?

2. Ces économistes existaient auparavant et portaient les mêmes appréciations. Mais, au profit de l’institution qui les emploie, de ses clients (abonnés à quelque " lettre confidentielle ") ou au cercle limité des lecteurs de revues spécialisées. Il y a donc ici l’entrée de ces commentaires dans le débat public le plus large. Est-ce un progrès de la démocratie ? ou cela accompagne-t-il simplement l’extension de l’actionnariat populaire ?

Jean-Pierre Haug

Pénombre, Janvier 2002