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Vote majoritaire : les idées aussi ?

En ces temps agités de troubles sociaux, il est fait dans le débat public un usage immodéré de l’argument suivant, visant à disqualifier par avance toute opposition aux réformes proposées par le Président de la République : « Mais enfin, si les Français ont élu Nicolas Sarkozy, c’est bien qu’ils veulent voir son programme appliqué ! » Eh bien... non ! Si Nicolas Sarkozy a été élu le 6 mai dernier, c’est parce qu’une majorité d’électeurs se retrouvait dans une majorité de ses idées. Cela ne signifie pas que toutes ses idées étaient majoritaires, ni d’ailleurs même qu’une seule d’entre elles le fût ! En effet, quand on vote pour un candidat, c’est que l’on agrée certaines des mesures qu’il propose – éventuellement une majorité d’entre elles – mais l’on n’adhère généralement pas pour autant à l’intégralité des propositions de son programme. Chaque électeur d’un candidat donné approuvant ou rejetant chez ce candidat des mesures différentes, il est possible que ce candidat soit élu sans que ses idées soient majoritaires. Considérons deux candidats X et Y qui ont chacun un avis sur trois sujets A, B et C. Chaque électeur 1, 2, 3, 4, 5 se sent proche soit du positionnement de X, soit de celui de Y pour chacun des sujets. Il décide au final de voter pour le candidat dont il se sent globalement le plus proche, par exemple celui dont il se sent proche sur la majorité des sujets. Regardons la situation suivante – qui peut évidemment se généraliser à davantage d’électeurs et de sujets :

Sujets  A  B  C  
Electeurs       vote pour
1 X X Y X
2 X Y X X
3 Y X X X
4 Y Y Y Y
5 Y Y Y Y
Avis majoritaire Y Y Y X

Dans le cas décrit par le tableau, l’électeur 1, par exemple, se sent plus proche des propositions de X pour les sujets A et B, mais plus proche de Y sur le point C. S’il accorde la même importance aux trois sujets, il votera donc pour X. Suivant ce raisonnement, trois des cinq électeurs votent pour X, qui est donc élu. Or, si l’on observe les colonnes A, B et C, qui indiquent pour chaque sujet de quel candidat chaque électeur est le plus proche, on s’aperçoit que X, bien qu’élu, est minoritaire dans l’opinion sur tous les sujets !

Nous ne prétendons pas que c’est la situation aujourd’hui en France. Nous précisons simplement que ce n’est pas parce qu’on a été élu avec 53 % des voix que 53 % des électeurs approuvent chacune des mesures que l’on propose...

Antoine Rolland et Nicolas Jouve

Chercheurs en théorie de la décision à l’université Pierre et Marie Curie