Recommandons à notre lecteur la lecture de l’article intitulé "La croissance est-elle encore mesurable ?", publié par Alternatives Économiques (février 1999) sous la signature d’A. Parienty, et qui s’appuie pour partie sur des chiffrages de l’INSEE1.
Ce que produit globalement l’économie (le PIB) est mesuré en faisant la somme de la valeur de tous les biens ou services produits. Mais, l’augmentation de cette somme résulte pour partie de l’augmentation des prix de biens inchangés. Pour mesurer la "croissance", on en déduit donc la hausse des prix. Or, pour mesurer celle-ci, il faut comparer les mêmes produits à deux dates. Que faire, si on ne retrouve pas exactement les mêmes produits ? De nouveaux apparaissent, d’autres disparaissent et certains se substituent à d’autres sans leur être tout à fait équivalents. Les statisticiens ont imaginé diverses façons de retrouver une variation de prix à qualité équivalente.
Un exemple particulièrement aigu est celui des micro-ordinateurs. Une première méthode donnait 30% de baisse de prix en trois ans. Une autre, qui prend mieux en compte l’amélioration des performances, aboutit à -40%. Dans le premier cas, on mesurait la production en divisant l’évolution de la valeur totale des micro-ordinateurs par 0,7 ; avec la méthode améliorée, il faut diviser par 0,6. Cette second voie chiffre la production à 17% de plus que la première (0,7/0,6 = 1,17).
Si ces effets de qualité sont mal appréhendés, on sous-estime la croissance. Or, ce qui se produit pour l’informatique se produit dans beaucoup de secteurs. Notamment pour les services. La difficulté de mesure révèle en fait l’ambiguïté de ce qu’on voudrait mesurer. La notion que nous avons de la "croissance" reste axée sur "l’accumulation de biens homogènes : davantage d’acier, de logements, de textile. La dématérialisation de la production la rend insaisissable et la multiplication des innovations complique les comparaisons." Ainsi, "la difficulté croissante éprouvée par les statisticiens à appréhender la croissance révèle bien que celle-ci change de nature."
On s’aperçoit qu’on ne sait plus ce que "croissance" veut dire. Une vertu du nombre n’est pas seulement de mesurer ce qui a un sens, mais de remettre en question le sens que nous pensions donner aux choses.
René Padieu
1. "L’indice des prix à la consommation surestime-t-il l’inflation ?", F. Lequiller, Économie et statistiques n°103, 1997.
Pénombre, Octobre 1999