Si l’on en croit une annonce publiée le 7 juin 2011 par le ministère de la Santé, dix minutes de trajet, en moyenne, suffisent, en France métropolitaine, pour accéder à un hôpital ou une maternité.
Souvenons-nous que les agences régionales de santé (ARS) et les schémas régionaux d’organisation des soins (SROS) mis en place par la loi « Hôpital, patients, santé et territoires » (HPST) du 21 juillet 2009 n’ont tout d’abord pas recueilli l’adhésion populaire escomptée.
Les ARS, en charge de la coordination régionale, ont contribué à la fusion des établissements existants et à la fermeture des services de chirurgie ou de maternité des hôpitaux locaux. Un décret en préparation devrait d’ailleurs fixer les seuils d’activité minimale pour justifier le maintien d’un service de chirurgie.
La population, les élus locaux, les personnels hospitaliers s’opposent régulièrement à ces recompositions hospitalières au nom de l’égalité de l’accès aux soins, de la sauvegarde de l’emploi local et du maintien d’un service public de santé de bon niveau. L’annonce du 7 juin va-t-elle enfin les faire rougir de honte ?
La Gazette des Communes a commenté assez longuement cette annonce :
« Depuis 1990 aucune donnée objective n’avait été publiée sur cette question essentielle en termes d’aménagement du territoire. Jusqu’à mardi 7 juin, où deux études traitant de ce sujet ont été rendues publiques.
« La première émane de l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé (IRDES), la seconde de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES). Des résultats qui tombent à point nommé, pour éclairer les réflexions engagées par les Agences régionales de santé chargées de réduire les inégalités d’accès aux soins.
« Résultats surprenants - Bien que les méthodologies employées pour réaliser ces travaux soient différentes, les résultats sont concordants et ils sont très surprenants.
« Ainsi, plus des trois quarts des gens peuvent accéder à une maternité et un hôpital prodiguant des soins courants (médecine, chirurgie) en moins de 25 minutes, révèle l’IRDES.
« Par exemple, la population française doit, en moyenne, parcourir 10 minutes de trajet pour accéder au service le plus proche de chirurgie orthopédique, discipline emblématique car elle répond à une demande forte tant de soins urgents (fractures) que de soins programmés (pose de prothèse de hanche par exemple). Le temps d’accès pour cette spécialité varie de 0 minute, pour les habitants d’une commune disposant du service, à moins de 40 minutes pour les plus éloignés.
« Quant aux équipements médicaux les plus courants de type scanner et appareil d’imagerie par résonance magnétique (IRM) ils sont situés en moyenne à moins de 20 minutes par la route. »
Ces deux études peuvent être consultées dans leur intégralité sur les sites de l’ IRDES et de la DREES.
Les résultats qu’elles publient sont beaucoup moins surprenants quand on regarde la méthode qui a été employée pour les obtenir, basée sur un calcul automatisé des distances. La DREES en propose la description suivante :
« Le logiciel Odomatrix (Odomatrix, INRA UMR1041 CESAER, d’après IGN Route500®, BD ALTI 500®, RGC®) développé par l’INRA, permet le calcul de distances à partir de deux codes communaux. Ces distances sont calculées à vol d’oiseau, en kilomètres-route, et en temps de trajet (aux heures creuses et aux heures de pointe). C’est cette dernière que nous utilisons ici, en faisant la moyenne entre le temps en heures creuses et celui en heures de pointe. Les patients et les établissements sont localisés au centre-ville de leur commune (généralement la mairie) et non à l’adresse exacte. Les patients qui vont se faire soigner dans leur commune de résidence se voient ainsi affecter un temps de trajet nul. [ndlr : passage souligné par nous] Les temps de déplacement sont par ailleurs calculés en faisant l’hypothèse que l’ensemble des déplacements se font par route. Pour certains patients qui n’ont d’autre choix que d’utiliser des modes de transport publics, les temps de trajet peuvent ainsi être sous-estimés. »
On pourra apprécier le ainsi de l’expression « se voir ainsi affecter un temps de trajet nul ». Quant à l’ignorance de l’existence des transports en commun, ne se moque-elle pas dangereusement du Grenelle 2 et de la sacralisation du « développement durable » ?
Les temps de trajet « ainsi » tirés vers le bas permettent d’éclaircir et d’égayer la cartographie métropolitaine sans difficulté.
Quant à Monsieur de La Palice, il n’aurait pas été surpris d’apprendre que « Les zones peu habitées, notamment montagneuses, ont les temps médians les plus élevés, à l’inverse des zones très peuplées dont les habitants effectuent des trajets beaucoup plus courts ».
L’étude de l’IRDES est également focalisée sur ces fameux temps d’accès, mais elle « oublie » simplement que ce n’est pas parce que l’on peut accéder rapidement à un établissement de soins que l’on trouvera à se faire soigner dans un délai raisonnable. Là-dessus les statistiques ne nous renseigneront pas. Et c’est bien dommage, surtout pour ce qui concerne l’ophtalmologie : moins de trois minutes d’accès (saluons la précision)... après combien de mois d’attente pour obtenir un rendez-vous ?
Alors que l’impasse sur les trajets ou les distances considérés comme nuls devrait assortir les quantités produites d’un minimum de circonspection, l’étude donne les plus fines précisions :
« La distance moyenne d’accès aux soins de premiers recours augmente pour les pédiatres (+7 %), les psychiatres (+6 %) et aussi pour les médecins généralistes (+7 %), même si l’écart reste faible en valeur absolue : pour ces derniers, la distance d’accès est faible (0,6 km) et augmente de moins d’une centaine de mètres en moyenne. »
Descendre au-dessous de la centaine de mètres est ici plutôt fantaisiste.
Et l’étude peut alors conclure, en toute tranquillité, que :
« Le temps d’accès aux soins est globalement satisfaisant : 95 % de la population française a accès à des soins de proximité en moins de quinze minutes. »
« La mesure de la répartition spatiale des soins met en évidence un accès aux soins de proximité (définis ici comme les soins fournis par les médecins généralistes, les infirmiers, les masseurs-kinésithérapeutes et les chirurgiens-dentistes libéraux) globalement bon, puisque 95 % de la population française se situe à moins de 15 minutes de ces services. »
« Concernant les seuls médecins généralistes, l’accès géographique est globalement très satisfaisant : moins de 1 % de la population vivant dans 4 % des communes françaises est à plus de 15 minutes de trajet d’un médecin généraliste. »
Que penser d’une démonstration à ce point soumise à la rhétorique du « globalement positif » ?1
Dominique Jestin
1. « Un système dont la défense contraint ses amis à la rhétorique du “globalement positif” est généralement plus près des poubelles de l’histoire que de son apothéose ». Frédéric Lordon