Il y a cinquante ans, quand vous preniez le bus, le receveur ou la receveuse vous demandait où vous alliez descendre, et une petite machine, dont il ou elle tournait la manivelle, oblitérait une, deux, ou trois bandes de papier cartonné suivant le nombre de « sections » parcourues. Vous gardiez cet accordéon de papier comme preuve de votre paiement.
Il y a déjà quelques années, une belle simplification a eu lieu (dans Paris au moins) avec la suppression des sections. Ainsi le possesseur d’une carte orange (devenue ensuite passe Navigo), peut circuler dans les bus, métros et tramways pour un tarif forfaitaire. Les receveurs et receveuses ont malheureusement disparu, eux qui connaissaient bien les lignes et leurs habitués, et ont cédé la place aux contrôleurs et contrôleuses, intervenant de temps en temps, en équipe compacte, pour vérifier la validité de votre titre de transport, et dressant procès-verbal en cas d’infraction.
Hier, dans le tramway, une équipe de contrôleurs m’a dit que je pourrais être sanctionnée d’une amende de 25 € pour ne pas avoir « validé », alors que je possède un forfait Navigo qui m’autorise à prendre bus et métro dans Paris quand je veux et aussi longtemps que je veux : cela me coûte, par prélèvement automatique 58,50 € par mois en ce moment. Alors, valider quoi ? Une amende pour sanctionner quoi ?
Pas de réponse à cette question, mais une explication imparable : « c’est dans votre intérêt de valider, c’est POUR LES STATISTIQUES ».
Quand j’ai raconté ça le soir même au conseil élargi de Pénombre, on m’a expliqué que cela n’aurait de sens que si je validais aussi en descendant, parce qu’alors, on pourrait avoir une preuve par les nombres de l’encombrement de certaines lignes de bus, de tramway ou de métro. Ahurie, j’étais… Mais je n’ai pas été la seule à faire remarquer que pour savoir que la ligne 13 du métro parisien était bourrée au-delà du supportable toute la journée (ou presque), il suffisait de la prendre et d’écouter les commentaires des habitués !
Aujourd’hui, dans le tramway, une équipe de contrôleurs me dit que je suis « passible d’une amende de 25 € parce que je n’ai pas validé, et que je dois valider dans mon intérêt parce que c’est POUR LES STATISTIQUES ». Toute fière, je leur explique que c’est bidon parce que je ne « dévalide » pas en descendant. Je sens alors un peu de flou dans les éléments de langage de l’équipe, les trois me disant d’abord comme un seul homme : « oh, c’est très compliqué ces choses-là, il faut vraiment être un spécialiste », puis l’une ajoute : « il y a des détecteurs de présence dans le bus », l’autre « comme on ne va pas rajouter une rame au milieu de la ligne, en fait, la seule chose qui compte, c’est le nombre de personnes qui sont montées entre les deux terminus », et la troisième pousse tout son monde plus loin en disant : « bon voyage, Madame, mais n’oubliez pas de valider la prochaine fois. »
Alors, mon voisin se tourne vers moi et dit : « et oui, c’est une histoire de flux et de stock ! »
Karin van Effenterre