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27 000 000, indispensables immigrés

Alfred Dittgen : 27 millions, c’est quoi ?

La salle : le nombre d’électeurs ?

(on entend diverses réponses)

A. D. : Non ! Vous n’avez pas regardé la télé ? « 27 millions » c’est le nombre d’immigrés que la France devrait recevoir dans les vingt ans à venir. (rires)

Et ça vient de qui ce chiffre ? Ce n’est pas de Bruno Mégret, donc c’est de Jean-Marie Le Pen. Dans une émission à laquelle celui-ci a participé, plus précisément dans une interview à France 2, le 17 avril, après le journal télévisé de 20h, émission d’Olivier Mazerolle et de Gérard Leclerc, il a dit « la commission de l’ONU nous a demandé de prévoir de recevoir dans les vingt ans qui viennent 27 millions d’immigrés. »

D’où sort, d’abord, ce chiffre complètement abracadabrantesque, et puis cette « injonction » de l’ONU ? Nous sommes en France moins de 60 millions, donc 27 millions c’est à peu près 50 % de plus. Là je pense qu’on peut utiliser le terme : « invasion » ! (rires) 27 millions ça fait 1 350 000 par an. Alors qu’en ce moment, il y a à peu près 50 000 personnes étrangères qui rentrent par an. Vous voyez un peu le rapport.

On pourrait dire : « Le Pen, il s’est peut-être trompé, il voulait dire autre chose ». Eh ! bien non, parce que le même chiffre est repris dans une de ses publications. Simplement avec une petite différence, c’est que la prévision n’est pas sur vingt ans, mais sur cinquante. Donc cela en fait moins, mais le nombre reste quand même énorme.

Alors, d’où vient-il, ce nombre ? J’ai cherché, et effectivement, il y a quelque chose à la base de cette affirmation. La Division de la population de l’ONU fait régulièrement des projections de population pour tous les pays du monde, et ces projections montrent que les populations des pays européens ont tendance à diminuer, parce que la fécondité n’y est pas assez forte. Dernièrement, l’ONU a calculé le nombre d’immigrants qu’il faudrait pour que la population ne diminue pas dans un certain nombre de pays européens. D’une façon générale, on n’aime pas que les populations diminuent, ce n’est pas très bon économiquement, et donc, cette question a un sens. Pour la France, il faudrait qu’il entre 5,5 millions de personnes dans les 50 ans à venir. 5,5 millions de personnes, ce n’est pas extraordinaire, ça fait en moyenne annuelle 100 000 personnes, c’est plus que maintenant mais ce n’est pas absolument extraordinaire. Alors d’où vient ce « 27 millions » ?

Dans ce travail de l’ONU, il y avait, d’une part, cette projection qui a un certain sens, mais d’autre part, il y avait d’autres résultats qui n’ont pas beaucoup de sens, et les gens qui ont fait ces études le reconnaissent eux-mêmes - ils l’écrivent dans leur publication - : on a calculé le nombre d’immigrants qu’il faudrait pour que les populations ne vieillissent pas. Or on sait qu’il est tout à fait impossible que les populations européennes ne vieillissent pas. C’est comme ça, elles vont vieillir, ça veut dire que la proportion de personnes âgées va augmenter. Il est impossible d’empêcher cela. Néanmoins, on a calculé combien de personnes devraient venir pour que cela ne se produise pas. Et là, on aboutit à des chiffres absolument énormes. Les 27 millions, eh bien ! sont bien issus de cette partie du travail de l’ONU. Manifestement, Le Pen a pêché un chiffre dans ces hypothèses un petit peu stupides !

D’autre part, cette histoire d’injonction de l’ONU. C’est complètement stupide aussi. Pourquoi ? Vous savez que l’ONU fait des résolutions de temps à autre. Ces résolutions, généralement d’ailleurs, ne sont pas suivies d’effet. Mais ces résolutions concernent des conflits, des guerres. On n’a jamais vu l’ONU faire une résolution disant : « en France, vous devez faire venir tant de gens »... Ce ne sont pas les instances dirigeantes de l’ONU qui ont fait cette étude, ce n’est pas le Conseil de sécurité, ce n’est pas l’Assemblée générale, c’est la Division de la population, et la Division de la population, c’est une espèce de bureau d’études, comme l’INSEE. L’INSEE, ce n’est pas le gouvernement, et de même, la Division de la population, ce n’est pas l’Assemblée générale, ce n’est pas la Commission de la population.

Vous allez me dire : c’est tellement gros ces 27 millions que le téléspectateur aura rectifié de lui même. Alors là, j’ai malheureusement des doutes, parce que les deux journalistes présents, qui ne sont pourtant pas des imbéciles, Olivier Mazerolle et Gérard Leclerc, eux, n’ont pas rectifié du tout. (applaudissements)

J.-R. B. : Alors, nous en étions à 27 millions, qui dit mieux ? 27 millions ? Milliards ? On arrive tranquillement à l’infini ? Et on s’arrête là ? Vous avez mieux ?

Dans la salle : J’ai « Pschit » !

J.-R. B. : Pschit ? Alors là, est-ce que c’est valable ?

B. Lacombe : Oui ! oui !

J.-R. B. : Alors, nous allons l’accepter au delà de l’infini, si vous le voulez bien. (rires) Allez, on accepte Pschit ! (coups de marteau)

Un participant : En fait je prends la parole pour poser une question : à l’époque, je n’avais pas compris si c’était un infiniment petit ou un infiniment grand. Comme j’ai laissé passer mon tour tout à l’heure pour les infiniment petits, si quelqu’un peut m’éclairer pour savoir si Pschit, ça mesure une quantité infiniment petite ou infiniment grande, ça m’intéresse.

J.-R. B : Y a-t-il un prof de maths dans la salle ? de préférence d’un service d’urgence... (rires) Non ? Eh bien ! nous resterons dans le doute. Et nous nous porterons mal…

Sur ces chiffres, remis en perspective avec sérieux, comme on vient de le faire, est-ce que nos amis journalistes, qui sont au premier rang, et qui passent leur temps à brasser des choses comme ça, souhaitent s’exprimer ? On a pris soin, vous l’avez remarqué, de ne pas prendre d’exemple dans les journaux ici représentés, mais c’est le pur fruit du hasard ! (rires) C’est le fruit du hasard, mais c’est aussi parce qu’on n’a invité que des journalistes sérieux ! Cela nous intéresserait d’avoir votre point de vue sur ce constat, dit avec le sourire, que les chiffres des programmes nous ont franchement déçus. Quand nous sommes allés à la chasse aux chiffres, nous avons eu l’impression qu’il n’y en avait pas beaucoup. Le débat n’était pas tellement assis sur des chiffres, et les chiffres étaient jetés d’une manière fort peu... mathématique. Qui se lance ?

 
 
Pénombre, spécial 10ans, Mars 2003