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0 SDF, si vite disparu…

Sans plus attendre attaquons la vente aux enchères. Je vais demander à mon assesseur (Bernard LACOMBE monte sur l’estrade) de venir à la tribune avec son matériel, et tout le monde est évidemment apte à pousser les enchères. Je vous explique la règle du jeu. Elle est simple : nous partons de 0 et nous montons pas à pas jusqu’à l’infini. Vous annoncez les chiffres qui vous ont frappé dans les programmes. Uniquement les chiffres des programmes... (on apporte un marteau aux commissaires-priseurs) merci, le commissaire-priseur a toujours besoin de ses instruments... La parole est alors donnée à celui qui propose la surenchère la plus petite par rapport au chiffre de l’intervenant précédent. Chaque intervenant nous racontera ses étonnements par rapport aux chiffres qu’il a attrapés, puis l’enchère montante reprendra, et on verra bien jusqu’où nous arriverons... Vous avez compris la règle du jeu ?

La salle : non ! (mouvements divers...)

J.-R. B. : non ? Les Français non plus n’avaient pas compris la règle du jeu du premier tour... (Rires) Ils ont compris dans le cours du jeu, et je pense que vous allez comprendre le cours du jeu...

Alors allons-y, je mets à prix les chiffres des programmes, je dis bien : uniquement les programmes, pas des sondages ou des trucs comme ça, et n’oubliez pas de vous présenter quand vous intervenez. On part donc de zéro. 0, qui dit mieux ?

Je prends !

J.-R. B. : Zéro. 0 pas mieux ? Eh bien non, pas mieux que 0 ! Adjugé ! (coup de marteau)

Jan Robert Suesser : J’avais peur qu’en ne prenant pas le 0, je n’aie pas le temps d’enchérir... 0, 0, 0 SDF, donc c’est par-là qu’on pourrait partir. C’est vrai que j’ai fait partie des quelques pénombriens qui très tôt se sont mis à espérer que cette soirée serait réussie, donc à observer ce qui pouvait se passer, et donc lorsque j’ai entendu « 0 SDF », je me suis dit là, on tient vraiment un chiffre à retenir. Pourtant, à peine apparu, il a déjà disparu. Et ce n’est pas parce qu’il a disparu à la vitesse à laquelle il est apparu qu’on ne peut pas en parler. D’abord, qu’est-ce que le chiffre dans l’expression de « 0 SDF » ? Est-ce que c’est un simple nombre, ou est-ce que c’est un argument publicitaire ? C’est vrai que le zéro n’évoque pas toujours du positif. Tu es un zéro ! Mais aussi on a « zéro défaut » argument porteur qui a servi à la vente de bien des produits de consommation. Ensuite « 0 SDF », et sa doublure, la couverture logement universelle, cela semblait quand même bien au niveau de ce que d’autres ont fait comme refus de la fracture sociale. Et en fait ça n’a pourtant été qu’un slogan lancé sans test directement dans le débat public, et donc retiré vite de l’étalage des bonnes intentions. Est-ce que c’est parce qu’il a tout de suite donné lieu à discussion ? Fallait-il que les chiffres de la campagne soient indiscutés, indiscutables pour trouver grâce auprès du candidat ? C’est aussi une question que l’on peut se poser. « 0 SDF » venait quelque temps après la publication par notre grand organisme maître du chiffre, l’INSEE, de données sur la population des SDF, sur la diversité des SDF. On avait donc des ordres de grandeur, des chiffres qui rendaient compte des représentations, qui vont du clochard sympathique à la victime qui cumule les effets des pertes d’emplois, des problèmes de santé, des difficultés psychologiques... On avait finalement tous les éléments d’un débat, d’une discussion pour un projet qui pourrait être présenté. Comme personne ne pouvait interpréter le « 0 SDF » comme une assignation obligatoire à résidence, dans une dictature quelconque, je me demande toujours pourquoi il s’est dissout rapidement dans le « circulez ! il n’y a rien à voir ». Mais enfin cette interrogation n’empêche pas de poursuivre les enchères. (applaudissements)

J.-R. B.  : Alors, nous poursuivons... Mieux que 0 ?... un, deux, trois... trois ?

Arrêtez ! j’ai moins, j’ai moins !

J.-R. B. : Moins que trois ? Combien ?

 
 
Pénombre, spécial 10ans, Mars 2003