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3%, le chiffre mythique

Alain Gély : Il y a, paraît-il, un chiffre mythique dans le monde de la publicité qui serait de 3 % : à ce taux, une audience, ou une part de marché deviendrait significative. J’ai même rencontré, en commentaire d’une enquête, l’indication selon laquelle « un échantillon » deviendrait représentatif à partir de 3 % de la population… l’auteur ajoutait même bizarrement : « comme chacun sait » !

Ce taux de 3 % n’est pas moins mythique en politique qu’en publicité.

En matière de finances publiques, sous réserve de recherches plus approfondies, il semble bien avoir surgi vers 1982, à l’initiative du président de la République de l’époque. À ce moment, où le besoin de financement des administrations publiques s’approchait du seuil symbolique et redoutable de la centaine de milliards de francs, il a paru plus judicieux de le présenter en % du P.I.B. soit justement 3 %. Ce chiffre, curieusement, est devenu une référence mythique. À tel point qu’une décennie plus tard, ces 3 % devenaient le principal « critère de convergence » vers l’union économique et monétaire. Pourquoi et comment ce qui était une habileté de communication en 1982 est devenu en 1992 une loi économique et financière apparemment fondamentale ? Apparemment c’est simplement parce que les représentants de la France l’ont proposé et que rien ou personne ne s’y est vraiment opposé. Remarquons que le besoin de financement de la Sécurité sociale, lui, est toujours présenté en milliards - de francs ou d’euros. Ceci permet à certains de parler de « trou de la sécu », quand une présentation en % du PIB, comme le besoin de financement des administrations publiques, lui permettrait de sembler modique !

Ces fameux 3 % mythiques ont réapparu, en 2002 : ils constituent désormais le « seuil de croissance » paraît-il au-dessus duquel l’équilibre budgétaire constituerait la loi.

Dynamisme de la croissance au delà de 3 %, langueur en deçà ? Vertu budgétaire en deçà de 3 %, erreur au-delà ? Quelle étude, quelle analyse a démontré qu’il s’agissait là de seuils écono-miquement décisifs ? Il est toutefois à noter que ces références n’ont été que peu présentes au cours de cette campagne présidentielle. Le temps semble révolu où des chiffrages détaillés du programme commun dans les années soixante-dix, puis du programme du RPR vers 1986, alimentaient massivement le débat public.

En revanche, le chiffre 3 a marqué, d’une toute autre manière, la couverture de la récente campagne présidentielle par les médias, avec le thème du troisième homme. Ce thème, qui a je crois été lancé par François Bayrou, n’était pas dépourvu d’ambiguïté. Pour la plupart, y compris sans doute pour son initiateur, il évoquait une place sur un hypothétique podium, les deux premières places étant réputées acquises d’avance. Pour d’autres, il cristallisait l’espoir, apparemment déraisonnable, de supplanter un des deux favoris. On sait ce qu’il en advint.

Je n’irai pas, pour ma part, faire de trois un chiffre maudit – pas plus que mythique – dont l’exploitation inconsidérée serait soi-disant responsable de la surprise du 21 avril. Mais il est clair que ce thème du troisième homme se distingue, par exemple, de la troisième voie ou de la troisième force qui, autre référence en politique, quoiqu’on puisse en penser, traduisent une certaine vision politique ou institutionnelle. En ce sens, si le chiffre 3 lui-même peut plaider non coupable, son utilisation abusive n’a en rien éclairé le débat public : cet usage inapproprié a au contraire contribué à occulter le fond des débats. (applaudissements)

J.-R. B.  : Merci ! On reprend les enchères. Après 3… 4 ?

π (Pi) ! (rires)

J.-R. B. : π ? On peut prendre des chiffres comme ça ?

Bernard Lacombe : Oui, je pense que oui.

J.-R. B. : Alors π ! Adjugé ! (coup de marteau)

 
 
Pénombre, spécial 10ans, Mars 2003