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Rien, c’est la pauvreté

Claudine Padieu : Rien !

J.-R. B. : Rien ! Est-ce que c’est valable, rien ?

Bernard Lacombe : Oui !

J.-R. B. : Oui ? Rien... Bon, mais alors, ça n’est pas comme 0, rien ?

C. P. : Ah non !

J.-R. B. : Ah bon ! Alors rien ! adjugé ! (coup de marteau)

C. P. : Rien c’est la pauvreté. C’est une des grandes surprises de cette campagne. À part le 0 SDF (mais on ne peut pas dire que ce soit un chiffre, c’est plutôt un non-chiffre), à part le zéro SDF, on n’a vraiment pas parlé de la pauvreté dans cette campagne. Ça a été un sujet complètement occulté. Rien de croustillant, pourtant il y avait matière sur le yo-yo de la pauvreté qui monte, qui descend, sur les 2 millions, 4 millions, 10 millions, 20 millions de pauvres qu’on se jetait naguère à la figure.

Une hypothèse est que les deux « principaux candidats » se réservaient pour le grand débat, avorté, du second tour. Mais cette explication est un peu courte. La seconde hypothèse, c’est qu’on aurait pu lancer des débats entre 3, 4, 5 candidats ? Là, c’est peut-être le nombre de candidats qui a empêché de se lancer : quels contradicteurs choisir de réfuter, dans ce magma ?

Je préfère l’hypothèse démocratiquement optimiste : les candidats seraient devenus intelligents et auraient renoncé à chiffrer ce qui n’est pas chiffrable !

Et pourtant les prémisses étaient alléchantes, grâce à la publication, début février, du rapport annuel de l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale, puis, début mars, de l’enquête « conditions de vie » de l’INSEE. Il y avait vraiment beaucoup de choses à dire. Aussi, les journaux, rompus aux subtilités du sujet comme à la lecture rapide de phrases extraites de leur contexte, avaient-ils pu amorcer les débats par leurs contradictions internes.

Ainsi, La Tribune du 8 février titrait-elle : « Le recul du chômage n’a pas réduit la pauvreté ». Mais, deux semaines plus tard, le 21 février : « Le gouvernement assure que la pauvreté recule ».

J.-R. B. : Le même journal ?

C. P. : Oui, j’ai fait ça scientifiquement… Ensuite il y a Les Échos, le 8 février, c’était quand le rapport de l’Observatoire de la pauvreté est sorti : « Le ralentissement économique a interrompu le léger recul de la pauvreté ». Vous noterez la manière subtile dont ces choses-là sont dites. Mais Les Échos vont plus loin un mois plus tard, le 4 mars : « Quatre années successives de forte croissance n’ont pas fait reculer la pauvreté ».

Ensuite, il y a Le Monde, plus pédagogique ; et, plus normand aussi. Le 8 février, il expliquait dans un titre : « Plus de 4 millions de personnes demeurent sous le seuil de pauvreté. La reprise économique amorcée en 1997 n’a pas permis de réduire le nombre de foyers disposant de très faibles ressources ». Mais ceci ne l’empêchera pas, le 8 mars, de titrer : « L’INSEE estime que le taux de pauvreté a baissé en 2001 mais relativise ses conclusions ».

Mon préféré est quand même Le Figaro. Le 8 février : « La fracture sociale s’aggrave », mais le 7 mars : « La pauvreté est en voie de recul ».

Donc on avait tous les ingrédients, et deux rapports pleins de chiffres, pleins de nuances, qui permettaient de dire plein de choses intelligentes, mais les candidats ont peut-être su lire les nuances. (applaudissements)

J.-R. B. : Bien ! Alors, on reprend les enchères. Donc ce n’était pas rien quand même ces nuances. J’ai entendu trois dans le fond de la salle. Est-ce qu’il y a mieux ? Trois ? Eh bien trois ! Adjugé ! (coup de marteau)

 
 
 
Pénombre, spécial 10ans, Mars 2003